Agnès Callamard : Au-devant de nouveaux défis
Le regard que nous portons sur la personne humaine est primordial et les voix qui s’élèvent pour défendre ses droits sont essentielles. Agnès Callamard, éminente experte française des droits de la personne humaine, est l’une de ces voix. Franche et directe, elle s’est ainsi illustrée en tant que Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires dès août 2016[i]. Dans le cadre de ce mandat, elle a travaillé plusieurs années durant pour tenter de faire la lumière sur des meurtres commis aussi bien par des États que par des groupes armés, sans jamais laisser sa propre sécurité entrer en considération dans ses choix, malgré les pressions et les menaces[ii].
Établi en 1982 par une résolution du Conseil économique et social des Nations Unies, le mandat relatif aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires appartient à la catégorie des mécanismes thématiques du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies (CDH)[iii]. Ces mécanismes ont à connaître « d'un certain type de violations se produisant à l'échelle mondiale, et non des situations relatives aux droits de l'Homme en général dans des pays déterminés »[iv]. Les affaires qu’Agnès Callamard a été amenée à examiner dans le cadre de cette fonction recouvraient tous les actes et omissions qui constituent une violation du droit à la vie – tel qu’énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[v]. En effet, ces normes internationales au caractère universel sont le principal fondement juridique des activités du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et ce, qu’elles aient été ratifiées ou non par les États[vi]. Dans l’exercice de son mandat, Agnès Callamard était spécifiquement en charge de présenter au CDH et à l’Assemblée générale des Nations Unies des rapports annuels sur ses activités et sur la situation mondiale des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; d’effectuer des visites dans les pays et de formuler des recommandations sur la défense du droit à la vie aux gouvernements concernés ; et de transmettre à ces derniers, ainsi qu’à d’autres acteurs, les plaintes individuelles et les appels urgents relatifs à des cas antérieurs ou imminents d'exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires[vii].
« Très modeste et pourtant impressionnante. Son travail est inestimable. »[viii] C’est en ces termes que la décrit Hatice Cengiz, la fiancée du tristement célèbre Jamal Khashoggi, journaliste et opposant saoudien assassiné en 2018. Dans le silence assourdissant de la société internationale, elle seule a eu le courage de faire entendre sa voix. Moins d’un an après les faits, elle rapporte que des « éléments de preuves crédibles » laissent penser qu’il s’agissait d’un assassinat « planifié et approuvé » par plusieurs hauts responsables saoudiens, dont le prince héritier Mohammed Ben Salman[ix]. Ce rapport de près de 100 pages lui aura valu d’être menacée de mort par des diplomates saoudiens lors d’une visite à Genève, au siège même du CDH[x]. Le danger est donc réel pour ces Rapporteur.e.s dont les travaux suscitent parfois de vives réactions de rejet de la part des gouvernements qui, dans un climat d’impunité totale, laissent craindre certaines représailles. Bien que compréhensive, Agnès Callamard se dit « déçue » du manque de soutien des Nations Unies, et plus particulièrement du Secrétaire général, António Guterres[xi]. Cependant, cela n’entache pas sa détermination à lutter contre les régimes autoritaires et en faveur des journalistes : « je dois faire ce que j’ai à faire »[xii].
Outre ces sentiments d’insécurité et de solitude, Agnès Callamard a également dû faire face à d’autres problèmes inhérents à la fonction de Rapporteure spéciale. Le manque de moyens et le défaut de caractère contraignant questionnent parfois l’efficacité de ces mécanismes onusiens[xiii]. Cependant, celle qui partage son temps entre universités et organisations internationales possède une persévérance à toute épreuve. Face à l’affaiblissement contemporain des droits humains, lié au contre-terrorisme[xiv] ou encore à la crise sanitaire[xv], Agnès Callamard s’inquiète mais s’apprête désormais à poursuivre son combat en tant que secrétaire générale d’Amnesty International[xvi].
Par Maël CHEREF, Marie KASSASSEYA, Célia SCALABRINO, Layla VÉRON et Rodin Privat ZAHIMANOHY.
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[i] Laetitia Gayet, « Agnès Callamard : “Les sanctions ont un effet pernicieux, si ce n’est destructeur, sur les systèmes de santé” », France Inter, 8 août 2020, consultable ici. [ii] Alexandre Duyck, « Ghislaine Dupont et Claude Verlon, Jamal Khashoggi… Agnès Callamard, une intraitable enquêtrice à l’ONU », Le Monde, 17 juillet 2020, consultable ici. [iii] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « Fiche d'information No 11 (Rev.1) - Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires », janvier 1998, consultable ici. [iv] Ibid. [v] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « Instruments internationaux », consultable ici. [vi] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires », consultable ici. [vii] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « Aperçu du mandat », consultable ici. [viii] Alexandre Duyck, « Ghislaine Dupont et Claude Verlon, Jamal Khashoggi… Agnès Callamard, une intraitable enquêtrice à l’ONU », op. cit. [ix] Human Rights Council, “Annex to the Report of the Special Rapporteur on extrajudicial, summary or arbitrary executions: Investigation into the unlawful death of Mr. Jamal Khashoggi”, A/HRC/41/CRP.1, 19 juin 2019, consultable ici. [x] Stephanie Kirchgaessner, “Top saudi official issued death threat against UN’s Khashoggi investigator”, The Guardian, 23 mars 2021, consultable ici. [xi] Alexandre Duyck, « Ghislaine Dupont et Claude Verlon, Jamal Khashoggi… Agnès Callamard, une intraitable enquêtrice à l’ONU », op. cit. ; Françoise Laugée, « Protection des journalistes, pouvoir des plateformes numériques – Encourager le développement du droit international », La revue européenne des médias et du numérique, N°56 Hiver 2020-2021, consultable ici. [xii] « Un haut responsable saoudien a menacé de mort Agnès Callamard pendant son enquête sur l’assassinat de Khashoggi », Middle East Eye, 24 mars 2021, consultable ici. [xiii] Françoise Laugée, « Protection des journalistes, pouvoir des plateformes numériques – Encourager le développement du droit international », op. cit. [xiv] Christophe Ayad, « Agnès Callamard : “Le contre-terrorisme affaiblit le droit humanitaire” », Le Monde, 26 mars 2021, consultable ici. [xv] Laetitia Gayet, « Agnès Callamard : “Les sanctions ont un effet pernicieux, si ce n’est destructeur, sur les systèmes de santé” », op. cit. [xvi] « Amnesty International choisit Agnès Callamard comme nouvelle secrétaire générale », Amnesty International, 29 mars 2021, consultable ici.
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