Qatar 2022 : plus qu’un jeu, un enjeu face au décès de 6500 travailleurs migrants sur les chantiers.
Mardi 23 février 2021, The Guardian, journal britannique, publie le nombre de travailleurs migrants décédés depuis 2010, année d’attribution du Mondial 2022 au Qatar[i]. Plus de 6500 travailleurs migrants venus d’Inde, du Bangladesh, du Népal, du Pakistan et du Sri Lanka seraient morts sur les chantiers.
Ouvriers non payés ou de manière partielle, abus systématiques, passeports confisqués, chaleur intense, chutes et insuffisances cardiaques tels sont les maîtres mots des conditions de travail sur les chantiers liés à la construction d’infrastructures pour la Coupe du monde 2022[ii]. Depuis de nombreuses années, de multiples ONG alertent sur les conditions de travail et de vie des ouvriers migrants, mais se heurtent au gouvernement qatari et à la Fédération internationale de football (FIFA). Officiellement, « seulement » 37 décès sont attribués à la construction de ces infrastructures, le reste des décès étant attribués à une cause naturelle[iii]. Représentant 90% de la main-d’œuvre, ces immigrés travaillent parfois sous une température de 50° C, se voient refuser l’accès à l’eau potable et dorment dans des conditions sanitaires alarmantes[iv].
Selon la Convention sur le travail forcé, ratifiée par le Qatar le 12 mars 1998[v], le terme de travail forcé désigne « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré »[vi]. L’Organisation internationale du Travail (OIT) souligne que divers indicateurs peuvent être utilisés pour établir les situations relevant du travail forcé, comme les restrictions à la liberté de mouvement des travailleurs, la confiscation des salaires ou des documents d’identité, les violences physiques ou sexuelles, les menaces ou l’intimidation, ainsi que les dettes imposées de manière frauduleuse, auxquelles les travailleurs ne peuvent échapper[vii]. Ces éléments avaient été mis en avant dans un rapport rendu en 2014 par le Comité de l’OIT faisant suite à la réclamation déposée par la Confédération syndicale internationale (CSI) et l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), pour inexécution par le Qatar de la Convention sur le travail forcé[viii]. La conclusion du Comité est claire : certains travailleurs migrants se trouvent au Qatar dans des situations relevant du travail forcé[ix].
Une question reste en suspens : contesté par l’OIT et le Conseil de l’Europe, pourquoi la FIFA a-t-elle fait ce choix ? L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a recommandé à la FIFA de « prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect des droits fondamentaux de tous les travailleurs migrants étrangers employés dans ce pays », conformément à l’engagement adopté dans les statuts de la FIFA en 2016[x]. De plus, l’Assemblée parlementaire qualifie de « pratiques extrêmement douteuses » l’attribution de la Coupe du monde au Qatar par la FIFA[xi].Le Département de la justice américaine (DOJ) accuse notamment les dirigeants de la FIFA de corruption. Les votes de ces derniers en faveur du Qatar seraient dès lors entachés d’irrégularité[xii].
La polémique actuelle sur le choix du Qatar en tant que pays d’accueil du Mondial 2022 ne doit pas masquer un autre sujet : la participation des fédérations locales de football dans le déroulement de cette compétition au Qatar. Certains ne reculent pas : l’équipe de France de football « ira au Qatar si elle se qualifie » annonce le président de la Fédération Française de Football (FFF)[xiii]. D’autres appellent au boycott, notamment en Norvège où plusieurs clubs de foot ont demandé à leur Fédération locale de ne pas se rendre au Qatar en cas de qualification[xiv].
Durant un mois, la Coupe du monde de football sera l’évènement le plus diffusé au monde[xv]. Au regard des 6500 décès causés par la mise en place de cette compétition, la dimension universelle qu’a acquis le Football semble ignorer l’universalité à laquelle prétendent les droits de l’Homme.
Par Arnaud Battaglia, Clémentine Elfasci, Délia Hammar, Camille Houtteman, Zoé Jalabert et Arthur Romano
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RÉFÉRENCES
[i] Revealed : 6, 500 migrant workers have died in Qatar since Wordl Cup awarded, 23 février 2021, The Guardian, [disponible ici]. [ii] Mondial au Qatar : Amnesty dénonce les « conditions de vie désastreuses » des ouvriers immigrés, 31 mars 2016, Le Monde, [disponible ici]. [iii] Coupe du monde au Qatar : au moins 6 500 morts depuis dix ans parmi les travailleurs immigrés, 23 février 2021, Courrier International, [disponible ici]. [iv] Au Qatar, des ouvriers broyés pour la Coupe du monde 2022, 27 septembre 2013, Libération, [disponible ici]. [v] Information System on International Labour, Normlex, Organisation internationale du travail, [disponible ici]. [vi] Convention (n°29) sur le travail forcé, 1930, [disponible ici]. [vii] Travail forcé, esclavage moderne et traite des êtres humains, Organisation internationale du Travail, [disponible ici]. [viii]Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par le Qatar de la convention (n°29)sur le travail forcé, 1930, présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par la Confédération syndicale internationale et l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, Réclamation (article 24) – Qatar – C029, [disponible ici]. [ix]Ibidem, [disponible ici]. [x] La FIFA et les droits humains, 30 avril 2018, Entreprises transnationales et droits humains, [disponible ici]. [xi] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, La réforme de la gouvernance du football, Résolution 2053, 23 avril 2015, [disponible ici]. [xii] Football : accusation de pots-de-vin pour l’attribution du Mondial à la Russie et au Qatar, 7 avril 2020, Le Monde, [disponible ici]. [xiii] Boycott du mondial 2022 ? « La France ira au Qatar », tranche Le Graët, 9 mars 2021, Le Figaro, [disponible ici]. [xiv] La Norvège veut boycotter la Coupe du monde de football au Qatar en 2022, 10 mars 2021, France-Inter, [disponible ici]. [xv] En 2018, 3.572 milliards de personnes ont suivi la Coupe du monde de la FIFA en Russie, FIFA, [disponible ici].
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