BNP Paribas accusée de complicité de crime contre l’humanité : vers une reconnaissance de la respons
Suite à une plainte déposée par des victimes soudanaises soutenues par des organisations non gouvernementales, une information judiciaire a été ouverte le 26 août 2020 devant le Tribunal de Paris, à l’encontre de la banque française BNP Paribas (BNPP). Elle concerne la complicité présumée de la banque dans les violations massives des droits humains perpétrées par le gouvernement soudanais entre 2002 et 2007, à l’encontre de la population civile au Darfour. La BNPP a permis aux autorités soudanaises d’accéder aux marchés financiers internationaux, alors même que le Soudan faisait l’objet d’un embargo. Ainsi, le gouvernement soudanais a pu assurer la viabilité de son armée et continuer de commettre des crimes de masse. Les victimes soudanaises sont face à l’ineffectivité de leurs juridictions nationales et aux solutions insuffisantes du droit international pénal. Un recours devant les juridictions en France, État où la BNPP a son siège social, apparaît alors comme leur seule alternative. L’enjeu sous-jacent de cette plainte est de reconnaître la responsabilité pénale des entreprises qui se rendent coupables ou complices de crimes internationaux et se voient souvent offrir l’impunité.
La BNPP a reconnu son rôle dans le financement du régime de Khartoum[1]. Elle « est devenue la seule banque correspondante en Europe pour le gouvernement soudanais »[2], permettant à ce dernier d’avoir accès au système financier américain. Pour engager la responsabilité pénale d’une banque, le principe serait de saisir les juridictions de l’État où ont eu lieu les crimes internationaux. Lorsque l’État en est incapable, la Cour pénale internationale (CPI), en respectant le principe de complémentarité[3], peut elle-même traduire les auteurs en justice, à la condition qu’il s’agisse de personnes physiques[4]. En effet, la CPI n’est pas compétente en matière de responsabilité pénale des personnes morales.
En parallèle, plusieurs organisations telles que l'Organisation de coopération et de développement économiques et le Conseil des droits de l’Homme ont rédigé des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Toutefois, ces instruments n’ayant pas de force obligatoire sur le plan juridique, ils ne permettent pas non plus de fonder la responsabilité pénale des sociétés qui ne s’y conformeraient pas. Ainsi, on voit qu’au niveau du droit international, les entreprises en tant que personnes morales jouissent d’une totale impunité pour leur participation dans la commission de crimes internationaux. Les normes juridiques internationales ne sont pas à la hauteur de la place grandissante des entreprises sur la scène internationale et de leur rôle dans des violations graves des droits humains.
Ce constat amène les victimes à se tourner vers les juridictions pénales d’autres États susceptibles d’accueillir leurs plaintes. Pour le cas de la BNPP, les victimes soudanaises se sont adressées aux juridictions françaises dont la législation reconnaît la responsabilité pénale des personnes morales[5], définit la complicité[6], et a inscrit le « crime contre l’humanité » dans son ordre juridique[7]. En l’espèce, la BNPP a mis en place un système de « banques satellites afin de dissimuler l’implication du Soudan dans les transactions en dollars américains » pour qu’elles ne soient pas bloquées aux États-Unis[8]. Si les juridictions françaises reconnaissent le lien entre l’assistance financière délivrée par la BNPP à l’ancien gouvernement soudanais et la commission de crimes internationaux par ce dernier, la responsabilité pénale de la banque française pourrait être engagée. En pratique, cependant, cette solution sera difficile à atteindre. D’une part, le fait que les crimes aient été commis à l’étranger, et il y a un certain temps, complique considérablement la recherche de preuves. D’autre part, jusqu’à présent, aucune décision de justice française n’a reconnu une société responsable pénalement pour des crimes internationaux commis à l’étranger.
En conclusion, en matière de responsabilité pénale des entreprises, il est encore difficile pour les victimes de crimes internationaux de voir aboutir leur plainte, tant au niveau national qu’international. Cependant, des fondements juridiques autres que la responsabilité pénale permettent, dans une certaine mesure, de lutter contre l’impunité en la matière. La BNP avait, par exemple, déjà été condamnée à payer une amende de 9 milliards de dollars en 2014 aux Etats-Unis pour les mêmes faits, sur le fondement de la violation de l’embargo mis en place par les États-Unis contre le Soudan.
BIBLIOGRAPHIE
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CHAPERON, Isabelle, TILOUINE, Joan. BNP Paribas rattrapée par ses activités au Soudan auprès du régime d’Omar Al-Bashir. Le Monde [en ligne], septembre 2020, [consulté le 17 octobre 2020]. Disponible sur : www.lemonde.fr.
[1] United States District Court - Southern District of New York, «United States of America v. BNP PARIBAS, S.A.», 30 juin 2014, p36.
[2] United States District Court - Southern District of New York, « United States of America v. BNP PARIBAS, S.A.», 30 juin 2014, §19.
[3] Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 1.
[4] Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 25§1.
[5] Cod. pén., article 121-2.
[6] Cod. pén., article 121-7.
[7] Loi n° 64-1326, 26 décembre 1964.
[8] United States District Court - Southern District of New York, «United States of America v. BNP PARIBAS, S.A.», 30 juin 2014, §18.
Julia Bourget, Maigane Etienne, Tara Ibrahim, Zoya Atwi, Léa Gastaut