Les condamnations politiques, un premier pas vers l’action juridique ?
Vendredi dernier, l’Iran s’insurgeait contre “la répression des manifestations” en France[1]. Dans les derniers mois, la France a dénoncé la répression lors des rassemblements en Iran[2]. Les déclarations de condamnations publiques entre États fusent, mais quelles sont leurs conséquences concrètes, notamment juridiques ? La condamnation d'un État par un autre État peut avoir des conséquences diplomatiques, économiques et juridiques importantes. Les réactions publiques peuvent aller d'une simple réponse verbale à une rupture des relations diplomatiques, en passant par des décisions judiciaires relançant le flot des condamnations politiques.
Sur le plan politique, une simple déclaration d’un État qui exhorte un autre État à respecter le droit international peut donner lieu à des pressions internationales à plus grande échelle, à une détérioration des relations diplomatiques, ou encore des réformes internes sous la pression. Les conséquences politiques et juridiques sont notamment illustrées par les condamnations de l’Arabie Saoudite par la communauté internationale suite à l’assassinat d’un journaliste en 2019. Les violations des droits humains des femmes et des opposants politiques avaient été mises en lumière. S'en sont suivies des réformes internes - comme l'autorisation pour les femmes de voyager sans l’accord d’un tuteur - et la libération de certains prisonniers politiques[3]. Sur le plan économique, en 2014 par exemple, après l’annexion de la Crimée par la Russie, des condamnations de concert ont permis aux États-Unis et à l’Union Européenne (UE) de se réunir pour prendre des sanctions politiques et économiques[4]. Ces conséquences économiques se confirment également au niveau régional puisque la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël, bien que dénoncée mondialement[5], a donné lieu à la suspension des relations commerciales et la limitation des activités des entreprises israéliennes en Turquie. Une importante détérioration des relations entre les deux pays a suivi[6].
Sur le plan juridique, il s’agit d’une relation à double sens. Une condamnation émanant d’une procédure judiciaire peut entraîner des condamnations politiques et inversement. En 2019, la procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a souhaité enquêter sur les crimes de guerre présumés commis en Afghanistan, suite à des critiques tranchées de la part de plusieurs États et organisations de défense des droits humains[7]. En 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) a condamné Israël pour la construction de son mur de séparation en Cisjordanie, estimant que cela violait le droit international coutumier en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire[8]. Cette condamnation a contribué à une pression internationale accrue pour que le mur soit démantelé. Il en a été de même en 2019, quand la dirigeante birmane a comparu devant la CIJ pour les violences perpétrées contre la minorité musulmane rohingya[9]. Cette parution en justice a été suivie d’un vaste mouvement international avec des mesures coercitives comme des sanctions économiques, par l’UE entre autres, pour répondre à l’appel de la Gambie : faire cesser le génocide en Birmanie[10]. Si un lien de causalité peut être établi entre les pressions internationales et les procédures judiciaires du fait d’une chronologie récurrente, ce lien n’apparaît pas dans les décisions des Cours, par souci du principe d’indépendance de la justice.
Ainsi, une condamnation d'un État par un autre peut avoir des conséquences politiques et juridiques importantes, qui peuvent influencer les relations internationales et l’ordre juridique national. Si les condamnations pour violations des droits humains sont l’apanage des puissances occidentales contre les États dits du Sud, la question aujourd’hui est de savoir si ce traitement censé être pour l’intérêt commun peut s’étendre à tous, y compris au “pays des droits de l’Homme”[11].
BIBLIOGRAPHIE
AFP, 2019. “Génocide des Rohingya : Aung San Suu Kyi dénonce à La Haye un “tableau incomplet et trompeur””. 11 décembre 2019, Le Monde. Disponible ici.
AFP, 2022. “Iran : la France condamne la poursuite de la répression et évoque de nouvelles sanctions”. 27 octobre 2022, Europe 1. Disponible ici.
Challenges, 2019. “Arabie Saoudite : les femmes autorisées à voyager sans l’accord d’un “tuteur””. 02 août 2019, Challenges. Disponible ici.
Clothilde Mraffko, 2022. “La Turquie et Israël scellent leur réconciliation après des années de brouille”. 18 août 2022, Le Monde. Disponible ici.
Cour Internationale de Justice, 2004. “La CIJ déclare l’édification du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé, contraire au droit international”. 09 juillet 2004. CIJ. Disponible ici.
Emmanuel Hirschauer, 2023. “”Coups de matraque” contre les “travailleurs” : ce député belge dénonce la “répression” policière en France”. 24 mars 2023, L’Obs. Disponible ici.
Jean Hennop, Sara Magniette, 2019. “Aung San Suu Kyi appelée à “cesser le génocide rohingya” au Myanmar”. 11 décembre 2019. Le Devoir. Disponible ici.
L’Humanité, 2017. “Jérusalem : l’ONU condamne à une large majorité la décision américaine”. 21 décembre 2017. L’Humanité. Disponible ici.
Marine Messina, 2014. “Le détail des sanctions internationales contre la Russie”. 30 juillet 2014, Le Monde. Disponible ici.
Stéphanie Maupas, 2019. “L’Afghanistan s’oppose à une enquête de la Cour Pénale Internationale. 06 décembre 2019, Le Monde. Disponible ici.
Tehran Times, 2023. “Iran condemns France’s brutal suppression of rallies over pension reform”. 12 mars 2023, Tehran Times. Disponible ici.
[1] Tehran Times, 2023. “Iran condemns France’s brutal suppression of rallies over pension reform”. 12 mars 2023, Tehran Times. Disponible ici. [2] AFP, 2022. “Iran : la France condamne la poursuite de la répression et évoque de nouvelles sanctions”. 27 octobre 2022, Europe 1. Disponible ici. [3] Challenges, 2019. “Arabie Saoudite : les femmes autorisées à voyager sans l’accord d’un “tuteur””. 02 août 2019. Challenges. Disponible ici. [4] Marine Messina, 2014. “Le détail des sanctions internationales contre la Russie”. 30 juillet 2014. Le Monde. Disponible ici. [5] L’Humanité, 2017. “Jérusalem : l’ONU condamne à une large majorité la décision américaine”. 21 décembre 2017. L’Humanité. Disponible ici. [6] Clothilde Mraffko, 2022. “La Turquie et Israël scellent leur réconciliation après des années de brouille”. 18 août 2022. Le Monde. Disponible ici. [7] Stéphanie Maupas, 2019. “L’Afghanistan s’oppose à une enquête de la Cour Pénale Internationale. 06 décembre 2019. Le Monde. Disponible ici. [8] Cour Internationale de Justice, 2004. “La CIJ déclare l’édification du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé, contraire au droit international”. 09 juillet 2004. CIJ. Disponible ici. [9] AFP, 2019. “Génocide des Rohingya : Aung San Suu Kyi dénonce à La Haye un “tableau incomplet et trompeur””. 11 décembre 2019. Le Monde. Disponible ici. [10] Jean Hennop, Sara Magniette, 2019. “Aung San Suu Kyi appelée à “cesser le génocide rohingya” au Myanmar”. 11 décembre 2019. Le Devoir. Disponible ici. [11] Emmanuel Hirschauer, 2023. “”Coups de matraque” contre les “travailleurs” : ce député belge dénonce la “répression” policière en France”. 24 mars 2023. L’Obs. Disponible ici.
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