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Mandats d’arrêt internationaux contre V. Poutine et M. Lvova-Belova : le pari de la CPI

Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale (la Cour) émet, à la demande du Procureur et suite aux déferrements de plus d’une trentaine d’États, deux mandats d’arrêt. Le premier vise le chef d’État russe Vladimir Poutine, le second Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l'enfant au cabinet du président de la Fédération de Russie[1]. Ces derniers sont accusés d’avoir commis des crimes de guerre de déportation d’enfants ukrainiens en territoire russe ou ukrainien occupé. Fin janvier 2023, la Russie avait affirmé que 728 000 enfants étaient arrivés sur son territoire, le gouvernement ukrainien considérant que 14 700 enfants ukrainiens avaient été « déportés » vers le territoire russe[2]. Ces actes sont prohibés par les Conventions de Genève, mais également par le statut de Rome, dont la Cour pénale internationale est compétente pour en garantir l’application par ses États parties. Bien que la Fédération de Russie ne soit pas partie au Statut de Rome, la Cour est compétente pour connaître des cas de déportation si ceux-ci surviennent sur le territoire d’un État membre ou d’un État ayant reconnu sa compétence, ce qui est le cas de l’Ukraine[3].


Les mandats délivrés par la Cour rendent davantage compte de sa position vigilante à l’égard des actes de déportation commis contre des enfants. En ce sens, la Cour s’était déjà déclarée compétente pour connaître du crime contre l’humanité du fait d’actes de déportation d’enfants et de femmes Rohingyas en 2018. Elle avait ici considéré qu’un élément du crime, à savoir le franchissement d'une frontière nationale[4], avait eu lieu sur le territoire d'un État partie au Statut de Rome[5]. Considérée également comme un crime de guerre dans le statut de Rome[6], la déportation d’enfants pourrait ainsi constituer un levier pour parvenir à la condamnation du chef d’État russe, dont la responsabilité en la matière a vivement fait réagir la communauté internationale[7].


Réprimer les déportations d’enfants dans le contexte précis du conflit russo-ukrainien a un sens particulier. Depuis le 24 février 2022, de nombreux États[8] et organes internationaux[9] ont explicitement dénoncé une pratique courante de la Russie en l’accusant de procéder à des transferts forcés d’enfants sur son territoire afin que ces derniers soient adoptés par des familles russes et qu’ils puissent être “rééduqués” selon la culture russe[10]. La Russie modifie l’état civil des enfants ukrainiens en favorisant leur adoption par des familles russes et leur changement de nationalité, violant le principe d’intangibilité de leur statut personnel[11], pourtant énoncé dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE)[12]. Maria Lvova-Belova avait ainsi déclaré en mai 2022 que des enfants ukrainiens résidant dans les régions séparatistes du Donbass avaient été placés dans des familles d'accueil de la région de Moscou. Elle a également affirmé vouloir étendre le programme et unifier les procédures de tutelle et d'adoption avec les autorités des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk[13]. À l'été 2022, la commissaire Lvova-Belova a affirmé que 350 « orphelins » avaient été adoptés à Donetsk et Luhansk, occupés par la Russie, et que « plus d'un millier » attendaient d'être adoptés[14]. Certains ont par exemple été transférés à Mourmansk[15], ville proche du cercle arctique. D’une manière similaire, certaines communes russes apportent un soutien financier aux républiques autoproclamées et envisagent des partenariats (appelés « patronages »[16]) pour transférer les enfants ukrainiens en territoire russe. À titre illustratif, une vingtaine d’enfants de Jdanivka, ville sous contrôle de la République populaire de Donetsk, ont été envoyés dans des camps de vacances à Magadan[17], une ville située à l’Extrême-Orient russe ayant établi un « patronage » avec cette dernière. Toutefois, si les parents peuvent admettre avoir consenti à envoyer leurs enfants en territoire russe, ceux-ci sont parfois amenés à faire eux-même le trajet pour les récupérer, laissant craindre des possibilités de séparation permanente[18] et constituant ainsi une potentielle violation de l’article 9 de la CIDE[19].



Si l’effectivité des mandats émis à la demande du Procureur de la Cour repose sur la coopération des États parties au Statut de Rome, celle-ci risque d’être mise à mal[20] par le statut de chef d’État en exercice de Vladimir Poutine, ainsi que par les immunités de juridiction qui lui sont conférées de ce fait. À l’instar des mandats d’arrêt émis à l’encontre d’Omar Al-Bashir en 2009 et en 2010[21], la Cour risque d’être confrontée à de grandes difficultés dans l’exécution de ces mandats.


–––––––––––––––––


Par Matthieu ATTIA, Camille CHAMBON, Amanda GICHIA, Louise MBENGUÈ DJEMBA et Nathan MICHAUD.


[1] Convention relative aux droits de l'enfant, New York, 20 novembre 1989, Nations unies, Recueil des Traités, vol. 1577, article 8, p. 4. <https://treaties.un.org/doc/Treaties/1990/09/19900902%2003-14%20AM/Ch_IV_11p.pdf>.

[2] Ibid.

[3] « Russia’s systematic program for the re-education & adoption of Ukraine’s children », Op. cit., p. 10. ; « Ответы по вопросам семейного устройства детей-сирот из ДНР и ЛНР в российские семьи » – Notre traduction : « Réponses aux questions du placement familial des orphelins de la RPD et de la RPL dans les familles russes », Commissaire aux droits de l'enfant auprès du Président de la Fédération de Russie. Consulté le 16 mai 2022, <http://deti.gov.ru/articles/news/otvety-po-voprosam-semejnogo-ustrojstva-detej-sirot-iz-dnr-i-lnr-v-rossijskie-sem-i>.

[4] Atle STAALESEN, « Deported Ukrainian children arrive in Murmansk », The Barents Observer, 27 septembre 2022, <https://thebarentsobserver.com/en/life-and-public/2022/09/deported-ukrainian-children-arrive-murmansk>.

[5] « Russia’s systematic program for the re-education & adoption of Ukraine’s children », Op. cit., p. 19.

[6] “Дети из города Ждановка в ДНР приехали на отдых в Магадан » – Notre traduction : « Des enfants de la ville de Zhdanovka en RPD se sont reposés à Magadan », RIA Novosti, 11 août 2022, <https://ria.ru/20220811/deti-1808799844.html?in=t>.


[7] « La CPI émet un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine », Courrier international, le 17 mars 2023, <https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-la-cpi-emet-un-mandat-d-arret-contre-vladimir-poutine>.

[8] Convention relative aux droits de l'enfant, Op. cit., article 9.

[9] The New York Times, « International Criminal Court Issues Arrest Warrant for Putin », le 17 mars 2023, <https://www.nytimes.com/live/2023/03/17/world/russia-ukraine-putin-news>.

[10] Cour pénale internationale, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09, 2009, <https://www.icc-cpi.int/fr/darfur/albashir>.


[11] « Situation in Ukraine : ICC judges issue arrest warrants against Vladimir Vladimirovich Putin and Maria Alekseyevna Lvova-Belova », 17 mars 2023, <https://www.icc-cpi.int/news/situation-ukraine-icc-judges-issue-arrest-warrants-against-vladimir-vladimirovich-putin-and>.

[12] « Russia’s systematic program for the re-education & adoption of Ukraine’s children », Yale Humanitarian Research Lab, 2023, p. 10, <https://hub.conflictobservatory.org/portal/sharing/rest/content/items/97f919ccfe524d31a241b53ca44076b8/data>.

[13] Cour pénale internationale, Situation en Ukraine. Consulté le 19 mars 2023, <https://www.icc-cpi.int/fr/ukraine>.

[14] Cour pénale internationale, Éléments des crimes, (New York : Nations unies, 2002), Article 8 2) a) vii)-1.


[15] « Decision on the “Prosecution’s Request for a Ruling on Jurisdiction under Article 19(3) of the Statute”, ICC-RoC46(3)-01/18, 2018, p. 41 §71.

[16] Statut de Rome, Op. cit., articles 8(2)(a)(vii), 8(2)(b)(viii).

[17] Ariane CHEMIN, « Un collectif français saisit la CPI à propos de la déportation en Russie d’enfants ukrainiens », Le Monde, le 21 décembre 2022, <https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/21/un-collectif-francais-demande-a-la-cour-penale-internationale-d-ouvrir-une-enquete-sur-la-deportation-en-russie-d-enfants-ukrainiens_6155248_3210.html>.

[18] Justin McCURRY, and Lorenzo TONDO, « Ukraine crisis: claims Mariupol women and children forcibly sent to Russia », The Guardian, 20 mars 2022. <https://www.theguardian.com/world/2022/mar/20/ukraine-crisis-claims-mariupol-women-and-children-forcibly-sent-to-russia>.

[19] « ODIHR Interim Report on reported violations of international humanitarian law and international human rights law in Ukraine », OSCE, 2022, pp 48–53 <https://www.osce.org/files/f/documents/0/5/534933.pdf> ; Conseil de sécurité des Nations unies, 9126e séance, Doc NU S/PV.9126 (7 septembre 2022), accessible à l’adresse <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/PRO/N22/582/39/PDF/N2258239.pdf?OpenElement>, p. 19.

[20] « Guerre en Ukraine : Ces milliers d’enfants enlevés pour être « rééduqués » à la russe », 20 Minutes, 23 Février 2023, <https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4024866-20230223-guerre-ukraine-milliers-enfants-enleves-etre-reeduques-russe>.

[21] Jean PICTET, Commentaire de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, éd. 1, Genève, CICR, 1958, pp. 309-310.



BIBLIOGRAPHIE


Documents internationaux :

Assemblée générale des Nations unies, Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, article 9.

Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Genève, 1949, article 49, 49§2, 50§2.

Convention relative aux droits de l'enfant, New York, 20 novembre 1989, Nations unies, Recueil des Traités, vol. 1577, p. 4.

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Rome, 17 juillet 1998, articles 8(2)(a)(viii), 8(2)(b)(viii), 13 et 14.


Jurisprudences :

Cour pénale internationale, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09.

Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Milomir Stakić, 2006, aff. IT-97-24-A, §278.


Articles de journaux :

A. CHEMIN, « Un collectif français saisit la CPI à propos de la déportation en Russie d’enfants ukrainiens », Le Monde, le 21 décembre 2022.

J. MCCURRY, L. TONDO, « Ukraine crisis: claims Mariupol women and children forcibly sent to Russia », The Guardian, 20 mars 2022.

A. STAALESEN, « Deported Ukrainian children arrive in Murmansk », The Barents Observer, 27 septembre 2022.

« Дети из города Ждановка в ДНР приехали на отдых в Магадан » – Notre traduction : « Des enfants de la ville de Zhdanovka en RPD se sont reposés à Magadan », RIA Novosti, 11 août 2022.

« La CPI émet un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine », Courrier international, 17 mars 2023.

« International Criminal Court Issues Arrest Warrant for Putin », The New York Times, 17 mars 2023.


Rapports :

Doc NU S/PV.9126, Conseil de sécurité des Nations unies, 9126e séance, (7 septembre 2022), p. 19.

« ODIHR Interim Report on reported violations of international humanitarian law and international human rights law in Ukraine », OSCE, 2022, pp 48–53.

« Russia’s systematic program for the re-education & adoption of Ukraine’s children », Yale Humanitarian Research Lab, 2023, p. 15.


Site internet :

« Ответы по вопросам семейного устройства детей-сирот из ДНР и ЛНР в российские семьи » – Notre traduction : « Réponses aux questions du placement familial des orphelins de la RPD et de la RPL dans les familles russes », Commissaire aux droits de l'enfant auprès du Président de la Fédération de Russie. Consulté le 16 mai 2022,

Cour pénale internationale, Situation en Ukraine. Consulté le 19 mars 2023, <https://www.icc-cpi.int/fr/ukraine>.

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