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Du dérèglement climatique à l’inaction gouvernementale : les enfants oubliés du Sud de Madagascar


« Je ne vais plus à l’école en ce moment [...] Quand je mange du tamarin mélangé à de l’argile, j’ai

mal au ventre, c’est pour ça que je ne vais plus à l’école. Parce que j’ai faim. »[1], Mosa, 17 ans.


Classée au rang de « catastrophe » par l’ICP[2], Madagascar, située au large de la côte sud-est de l’Afrique, est frappée par une crise humanitaire dont les enfants constituent les premières victimes[3]. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat[4] établit un lien de causalité entre dérèglement climatique et famine. Selon l’Organisation des Nations Unies, Madagascar est le premier pays confronté à une famine qui n’est pas provoquée par un conflit armé. Aggravée par l’instabilité gouvernementale et l’insuffisance de la réponse humanitaire, ce sont aujourd’hui plus de 48% des communes qui connaissent l’urgence nutritionnelle[5], si bien que le Fond des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial s’alarment des atteintes aux droits humains sur la Grande Île.

Selon l’UNICEF, « Madagascar est parmi les pays nécessitant le plus d'efforts en termes de survie de l’enfant et couverture de santé ». Plus de 500 000 cas d’enfants atteints d’émaciation seraient ainsi attendus d’ici avril 2022, principalement dans les régions du sud du pays[6]. De surcroît, la malnutrition aiguë expose une grande majorité des plus jeunes à une multitude de maladies endémiques mortelles (rougeole, paludisme, peste pneumonique) dont la propagation s’accélère du fait des situations de « kéré »[7]. Or, l'État échoue à mettre en œuvre les dernières recommandations du Comité des droits de l’enfant[8]. Alors même qu’il doit garantir le bon développement des enfants, leur accès aux soins et à l’éducation[9], les fonds alloués aux services de santé publique et aux infrastructures de distribution d’eau potable demeurent insuffisants[10].

Depuis la crise politique de 2009, l’instabilité dans le pays est constante et l’État défaillant. Ledétournement d’argent public par des agents administratifs a jeté le discrédit au sein des bailleurs de fonds sur la légitimité de l’action menée par les acteurs humanitaires[11]. Pour Mireille Rakotondravelo, responsable de l’association « SOY Madagascar »[12] : « il y a une grande passoire, seulement la dernière goutte tombe pour les bénéficiaires ». Pour Mahatante Paubert, enseignant-chercheur, l’exécutif doit consacrer une part plus importante de son budget au développement sur le long terme[13]. À titre d’exemple, il n’alloue que 7% de son budget à la santé contre les 15% préconisés par l’Union africaine[14]. Par ailleurs, si plusieurs initiatives sont menées par les organisations humanitaires sur le terrain, les associations locales sont encore trop souvent exclues du processus décisionnaire des Agences onusiennes comme le déplore Madame Rakotondravelo : « pour eux, c’est comme si on n’existait pas. Ce que nous attendons de ces organisations c’est un renforcement de la coordination de l’action humanitaire ». Les régions, pourtant actrices clés du développement local, sont paralysées par l'inefficacité de la décentralisation. Sans délégation du pouvoir de décision ni autonomie budgétaire, elles ne peuvent pas faire face à une telle crise. Certaines d’entre elles, comme l’Androy dans le sud du pays, sont renommées « cimetière de projets »[15].

A l’instar des « épouses de la famine »[16] au Kenya, les mariages forcés des jeunes filles malgaches se multiplient pour faire face à l’extrême pauvreté. Selon le Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme de 2014 sur la « Prévention et élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés »[17], le risque de recourir à ces pratiques augmente en situation de crise humanitaire. En dépit de l’adoption en 2018 d’une Stratégie Nationale de Lutte contre le Mariage d’Enfants, Madagascar connaît l’un des taux de mariage infantile les plus élevés au monde. Environ 44,4% des femmes de 20-24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans et 13% avant l’âge de 15 ans[18]. Dans les zones rurales du sud du pays, ce taux s’élève à plus de 50%. À terme, cette pratique a des conséquences directes et durables sur la santé physique et mentale des jeunes filles (multiplication des risques de grossesses précoces et forcées, de violences intrafamiliales et de déscolarisation).

En définitive, si le changement climatique est l’une des raisons de l’intensification de la famine dans le pays, il n’est pas son principal instigateur. Le manque de volonté politique entrave la mise en œuvre de plans d’actions pour lutter contre l’insécurité alimentaire et fait de Madagascar un cas d’école de la faim en temps de paix.


Par Florine BAELDE, Camille BEN HAMZA, Justine CASSAR, Louis COURTIER et Lehna GUIDOU.

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BIBLIOGRAPHIE


  • Traités

- Convention relative aux droits de l’enfant, New York, 20 novembre 1989. Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1577, no. 27531, p.3, accessible à l’adresse https://treaties.un.org/doc/Treaties/1990/09/19900902%2003-14%20AM/Ch_IV_11p.pdf

  • Documents des Nations Unies

- Programme alimentaire mondial (PAM), Communiqué de presse, La malnutrition chez les enfants devraient quadrupler dans le sud de Madagascar alors que la sécheresse s’aggrave, avertissent l’UNICEF et le PAM, 26 juillet 2021 : https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/la-malnutrition-chez-les-enfants-devrait- quadrupler-dans-le-sud-de-madagascar


- Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Bulletin d’information du cluster nutrition, Résultats de la surveillance nutritionnelle dans dix districts, publié en septembre 2021 :


- Comité des droits de l’enfant, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 44 de la Convention, Observations finales : Madagascar, CRC/C/MDG/CO/3-4, 59e session (16 janvier au 3 février 2012), accessible ici :


- UNICEF, Humanitarian situation report, 9 août 2021. Consultable ici : https://reliefweb.int/report/madagascar/madagascar-country-office-humanitarian-situation-report-no-2reporting-period-01


- UNICEF et le Collectif des Citoyens et des Organisations Citoyennes (CCOC), Madagascar, Analyse succincte du budget de la santé publique, 2014-2019, p.4. Consultable ici :


- Assemblée générale des Nations Unies, Prévention et élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés : Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, A/HRC/26/22 (2 avril 2014), p.9. Consultable ici : https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/26/22


- UNICEF, 10 millions de filles supplémentaires risquent d’être mariées durant leur enfance à cause de la COVID-19, Communiqué de presse, 8 mars 2021. Consultable ici :


  • Ouvrages

- BIDOU (J.E.) et DROY (I.), « Pauvreté et vulnérabilité alimentaire dans le Sud de Madagascar : les apports d’une approche diachronique sur un panel de ménages », Monde en développement, n°140, 2007, pp.45-98.

  • Rapports

- Integrated Food Security Phase Classification (IPC), Madagascar: Acute Food Insecurity and Acute Malnutrition Situation April 2021 - April 2022. Consultable ici :http://www.ipcinfo.org/fileadmin/user_upload/ipcinfo/docs/IPC_Madagascar_FoodSecurity_NutritionSnapshot_2021July_English.pdf


- IPCC, Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)], 9 août 2021, Cambridge University Press. In Press.



  • Sources diverses


- Amnesty International, Madagascar. Plus d’un million de personnes sont touchées par la famine, il faut intervenir de toute urgence, 21 mai 2021. Consultable ici : https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/05/madagascar-urgent-humanitarian-intervention-needed-as-millions-face-hunger-due-to-devastating-famine/


- PAUBERT (M.), « Pour éradiquer la famine dans le sud de Madagascar, il faut d’abord s’attaquer à la sécheresse », Le Monde, 18 juin 2021.


- WADEKAR (N), “Kenya Is Trying to End Child Marriage. But Climate Change Is Putting More Young Girls at Risk”, Time, 12 août 2020.


- BORGIA (G.), « Madagascar : silence, on meurt », ARTE Reportage, émission du 1er avril 2021. Consultable ici : https://www.arte.tv/fr/videos/102341-000-A/madagascar-silence-on-meurt/


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RÉFÉRENCES

[1] Amnesty International, Madagascar. Plus d’un million de personnes sont touchées par la famine, il faut intervenir de toute urgence (21 mai 2021). [ Consulté le 14 octobre 2021 : https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/05/madagascar-urgent-humanitarian-intervention-needed-as-millions-face-hunger-due-to-devastating-famine/ ] [2] L’ICP constitue un outil de classification des phases de la sécurité alimentaire. [3] Integrated Food Security Phase Classification (IPC), Madagascar: Acute Food Insecurity and Acute Malnutrition Situation April 2021 - April 2022, [Consulté le 12 octobre 2021 : http://www.ipcinfo.org/fileadmin/user_upload/ipcinfo/docs/IPC_Madagascar_FoodSecurity_NutritionSnapshot_2021July_English.pdf] [4] IPCC, Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)], 9 août 2021, Cambridge University Press. In Press. [5] Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Bulletin d’information du cluster nutrition, Résultats de la surveillance nutritionnelle dans dix districts, publié en septembre 2021[Consulté le 12 octobre 2021 : https://www.unicef.org/madagascar/media/2016/file/Bulletin_nutrition_2019_T1.pdf ] [6] Programme alimentaire mondial (PAM), Communiqué de presse, La malnutrition chez les enfants devraient quadrupler dans le sud de Madagascar alors que la sécheresse s’aggrave, avertissent l’UNICEF et le PAM, 26 juillet 2021 [Consulté le 11 octobre 2021 : https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/la-malnutrition-chez-les-enfants-devrait-quadrupler-dans-le-sud-de-madagascar ] [7] En malagache, désigne les périodes de sécheresse. [8] Comité des droits de l’enfant, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 44 de la Convention, Observations finales : Madagascar, CRC/C/MDG/CO/3-4, 59e session (16 janvier au 3 février 2012), accessible ici : http://hrlibrary.umn.edu/crc/French/concluding_observations/madagascar2012.pdf [9] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 6, art. 24 (1) et (2), et art. 28, 20 novembre 1989. [10] UNICEF et le Collectif des Citoyens et des Organisations Citoyennes (CCOC), Madagascar, Analyse succincte du budget de la santé publique, 2014-2019. Consultable ici : https://www.unicef.org/esa/media/5031/file/UNICEF-Madagascar-2019-Health-Budget-Brief.pdf [11] Transparency International Initiative Madagascar, Covid-19 et gouvernance : les leçons apprises de la première phase de la crise sanitaire à Madagascar, Rapport annuel, Janvier 2021. [12] Association locale “SOY MADAGASCAR” https://www.facebook.com/groups/soy.association/ [13] M.PAUBERT, « Pour éradiquer la famine dans le sud de Madagascar, il faut d’abord s’attaquer à la sécheresse », Le Monde, 18 juin 2021. [14] G.BORGIA, « Madagascar : silence, on meurt », ARTE Reportage, émission du 1er avril 2021. Consultable ici : https://www.arte.tv/fr/videos/102341-000-A/madagascar-silence-on-meurt/ [15] J.E.BIDOU et I.DROY, « Pauvreté et vulnérabilité alimentaire dans le Sud de Madagascar : les apports d’une approche diachronique sur un panel de ménages », Monde en développement, 2007, pp.45-98. [16] N.WADEKAR, “Kenya Is Trying to End Child Marriage. But Climate Change Is Putting More Young Girls at Risk”, Time, 12 août 2020. [17] Assemblée générale des Nations Unies, Prévention et élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés : Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, A/HRC/26/22 (2 avril 2014), p.9. Consultable ici : https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/26/22 [18] UNICEF, Communiqué de presse, 10 millions de filles supplémentaires risquent d’être mariées durant leur enfance à cause de la COVID-19, 8 mars 2021, https://www.unicef.org/madagascar/communiqu%C3%A9s-de-presse/10-millions-de-filles-suppl%C3%A9mentaires-risquent-d%C3%AAtre-mari%C3%A9es-durant-leur?fbclid=IwAR1Mf7lERUTeQPCxK_5fg1cYT4m_Uc1ns9OjxYVeQ-WpPeia0dE8j5RaPtM

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