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En Guinée, l’ouverture du procès du 28 septembre : un premier tournant vers l’État de droit ?




Lundi 3 octobre, Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte guinéenne a annoncé, par la voix de son avocat, qu’il plaiderait non coupable au procès concernant les événements du stade de Conakry du 28 septembre 2009[1]. Ce procès met en cause la responsabilité individuelle de certains chefs militaires au titre d’au moins sept chefs d’accusation, dont des assassinats et violences sexuelles.

D’après les nombreux témoignages, de nombreux crimes auraient été commis lors d’un rassemblement politique pacifique s’opposant à la candidature aux élections présidentielles du colonel Dadis Camara, leader de la junte militaire au moment des faits[2]. Des faits de tortures, viols et violences sexuelles, meurtres et assassinats, d’enlèvements et de séquestrations, ainsi que de mutilations ont été décrits par les témoins[3]. De plus, les différentes enquêtes ainsi que les témoignages des victimes font état d’actions de dissimulation des preuves des crimes, notamment par l’utilisation de fosses communes pour enterrer les corps[4]. Au total, c’est au moins 156 personnes disparues ou tuées et pas moins de 109 filles et femmes victimes de violences sexuelles comptabilisées[5],[6].

Au vu de la gravité des faits, le massacre du 28 septembre a suscité l'émoi de la communauté internationale. Le lancement du procès après 13 ans d’attente a ainsi été accueilli avec soulagement et satisfaction, notamment par la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme[7]. En 2009, une Commission d'enquête de l’Organisation des Nations unies (ci-après ONU) a conclu qu’il existait une « forte présomption que des crimes contre l’humanité aient été commis » et « qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner une responsabilité pénale individuelle »[8]. Si les autorités guinéennes ont ouvert une enquête dans l’année qui a suivi le massacre, elles n'ont rendu leurs conclusions que sept ans plus tard[9]. Selon Cheick Sako, garde des Sceaux de 2014 à 2019, « le fait que certaines personnes inculpées étaient à des postes importants dans l’administration, voire à la présidence, posait problème »[10]. Le changement de régime intervenu en septembre 2021 semble donc s’être accompagné d'un changement de volonté politique. En marge de l'ouverture du procès le 28 septembre dernier, le président de la transition a ainsi reçu le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Karim Khan. Les deux hommes ont signé un accord de coopération visant à garantir la transparence du procès[11] ayant débuté le 28 septembre 2022. À cet égard, la cour a initié depuis 2009 un examen préliminaire de la situation en Guinée tout en suivant les progrès de cette affaire. Le Bureau du Procureur de la CPI a ainsi progressivement entamé un dialogue constructif avec les autorités guinéennes, afin de les pousser à honorer leur promesse de rendre justice dans cette affaire; ces engagements sont désormais connus sous le nom de « complémentarité positive »[12].

Lorsque le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), mené par le Colonel Camara, suspend la Constitution guinéenne de 1991 par un coup d’État, celui-ci décide qu’une nouvelle constitution sera adoptée à la suite d’élections libres en 2010[13]. La nouvelle constitution de Guinée est toutefois remplacée en 2020. Un an plus tard, le coup d’État du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) suspend son application. L’actuel gouvernement transitoire mené par le colonel Mamadi Doumbouya promulgue peu après la Charte de la transition guinéenne[14]. Cette constitution « temporaire » est censée encadrer la mise en œuvre de nouvelles élections. Elle est toutefois toujours en vigueur depuis le 27 septembre 2021. La junte du Colonel Doumbouya est alors vivement contestée en interne par une partie de la classe politique et de la société civile; ceux-ci réclamant une transition plus inclusive et de plus courte durée. En outre, la junte se voit aussi reprocher de procéder à des emprisonnements arbitraires et de violer certains des droits civils les plus élémentaires[15]. Ainsi, le 8 août 2022, les autorités ont dissout une importante coalition pro-démocratique, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) dans les heures qui ont suivi l'annonce de nouvelles manifestations par le mouvement[16]. Selon Human Rights Watch, cette décision viole les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique garanties par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[17], que la Guinée a ratifiée en 1978; les mêmes prérogatives sont également inscrites dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[18].

Dans ce contexte, la tenue du procès encouragée par le gouvernement de transition s'apparente aussi à une opération de séduction menée auprès de l'opinion publique guinéenne et de la communauté internationale. Le procès a placé la Guinée au cœur de l'actualité médiatique et politique du continent. Débutant quelques jours seulement après la remise du rapport final des assises nationales qui avaient pour objet d'entendre toutes les victimes des précédents régimes[19], le pouvoir pourrait aussi être tenté d'inscrire la tenue du procès dans un éventail de mesures plus larges, amorçant un virage vers un État de droit afin de se démarquer des précédents régimes militaires : « Tous ces crimes qui ont endeuillé des milliers de Guinéens depuis l'indépendance, ont été des crimes commis au nom de l'Etat guinéen. Il est important que l'Etat dise aujourd'hui, qu'il n'est pas associé à ces forfaits et à ces crimes »[20].

Si ce procès marque une volonté de lutter contre l’impunité face aux graves violations des droits humains perpétrées par de hauts responsables, il n’en reste pas moins éminemment politique. Il s’inscrit dans un contexte de tensions où le régime de transition est lui-même accusé de réprimer violemment des voix politiques dissidentes dans le pays.


Par Jade BELGHALI, Ismaël DIALLO, Maëlle GROSSAIN-CAMIER, Lisa GUIRADO et Nathan MICHAUD

BIBLIOGRAPHIE



Conventions


Assemblée générale des Nations unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 16 décembre 1966, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 999, p. 171.


Organisation de l'Unité Africaine, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Nairobi, 27 juin 1981, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1520, p. 217.


Rapports


La procédure judiciaire dans l’affaire du 28 septembre 2009’, OFPRA, 2 novembre 2019, 10.


Un lundi sanglant - Le massacre et les viols commis par les forces de sécurité en Guinée le 28 septembre’, Human Rights Watch, 17 décembre 2009, 115.


Communiqués de presse


Nations unies, Haut-Commissariat aux droits de l'homme, La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme par intérim salue l’ouverture du procès concernant le massacre commis il y a 13 ans en Guinée, 28 septembre 2022.


Articles scientifiques


Bangoura, Dominique. « Le coup d’État de décembre 2008 et la Transition controversée en Guinée », Les Champs de Mars, vol. 28, no. 3, 2015, p. 18-33.


Articles de presse


Ansou Baïlo BALDÉ, ‘Procès du 28 septembre: “Dadis Camara va plaider non coupable”, annonce Me Pépé Lama’, Guinée matin, 3 octobre 2022.


Diawo BARRY, ‘Procès du 28 septembre : « Il va y avoir des surprises, des noms vont sortir »’, Jeune Afrique, 3 octobre 2022.


Elian PELTIER, ‘Over a Decade After 150 Were Killed, Guinea Puts an Ex-President on Trial’, The New York Times, 28 septembre 2022.


Marième SOUMARÉ, ‘Guinée : ce que contient la charte de la transition dévoilée par Doumbouya, nouveau chef de l’État’, Jeune Afrique, 28 septembre 2021.


‘Procès 28 septembre: Karim Khan prévient qu’il ne tolérera aucune “ingérence” ou “lenteur”…’, Africaguinée.com, 1er octobre 2022.


Ex-Guinea military ruler goes on trial for 2009 stadium massacre’, Al Jazeera, 28 septembre 2022.


Guinée : Le massacre du 28 septembre était prémédité’, Human Rights Watch, 27 octobre 2009.


Guinée: le gouvernement dissout la coalition de l’opposition. Un coup dur est porté à la démocratie et aux droits de la personne’, Human Rights Watch, 11 août 2022.


Guinée: procès historique dans l’affaire du massacre de 2009’, Human Rights Watch, 22 septembre 2022.


Les manifestants défient la junte malgré les arrestations’, VOA Afrique, 7 juillet 2022.

[1] Ansou Baïlo BALDÉ, ‘Procès du 28 septembre: “Dadis Camara va plaider non coupable”, annonce Me Pépé Lama’, Guinée matin, 3 octobre 2022, Disponible en ligne ici. [2] ‘Ex-Guinea military ruler goes on trial for 2009 stadium massacre’, Al Jazeera, 28 septembre 2022. Disponible en ligne ici. [3] ‘Un lundi sanglant - Le massacre et les viols commis par les forces de sécurité en Guinée le 28 septembre’, Human Rights Watch, 17 décembre 2009, p. 54. Disponible en ligne ici. [4] ‘Guinée : Le massacre du 28 septembre était prémédité’, Human Rights Watch, 27 octobre 2009. Disponible en ligne ici. [5]‘Guinée: procès historique dans l’affaire du massacre de 2009’, Human Rights Watch, 22 septembre 2022. Disponible en ligne ici. [6] ‘La procédure judiciaire dans l’affaire du 28 septembre 2009’, OFPRA, 2 novembre 2019, p. 3. Disponible en ligne ici. [7] Nations unies, Haut-Commissariat aux droits de l'homme, ‘La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme par intérim salue l’ouverture du procès concernant le massacre commis il y a 13 ans en Guinée’, 28 septembre 2022. Disponible en ligne ici. [8] Ibid. [9] Elian PELTIER, Over a Decade After 150 Were Killed, Guinea Puts an Ex-President on Trial, New York Times, 28 septembre 2022. Disponible en ligne ici. [10] Diawo BARRY, ‘Procès du 28 septembre : « Il va y avoir des surprises, des noms vont sortir »’, Jeune Afrique, 3 octobre 2022. Disponible en ligne ici. [11] ‘Procès 28 septembre: Karim Khan prévient qu’il ne tolérera aucune “ingérence” ou “lenteur”’, Africaguinee.com, 1er octobre 2022. Disponible en ligne ici. [12] ‘Guinée: procès historique dans l’affaire du massacre de 2009’, HRW, Op. cit. [13] Bangoura, Dominique. « Le coup d’État de décembre 2008 et la Transition controversée en Guinée », Les Champs de Mars, vol. 28, no. 3, 2015, p. 19. [14] ‘Guinée : ce que contient la charte de la transition dévoilée par Doumbouya, nouveau chef de l’État’, Jeune Afrique, 28 septembre 2021. Disponible en ligne ici. [15] ‘Les manifestants défient la junte malgré les arrestations’, VOA Afrique, 7 juillet 2022. Disponible en ligne ici. [16] ‘Guinée: le gouvernement dissout la coalition de l’opposition. Un coup dur est porté à la démocratie et aux droits de la personne’, Human Rights Watch, 11 août 2022. Disponible en ligne ici. [17] Assemblée générale des Nations unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 16 décembre 1966, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 999, p. 171, articles 19(2), 21 et 22 [18] Organisation de l'Unité Africaine, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Nairobi, 27 juin 1981, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1520, p. 217, articles 9(2), 10 (1) et 11 [19] ‘Guinée : les « Assises nationales » prônent une commission vérité’, Africanews, 25 août 2022, Disponible ici. [20] Ousmane Gaoual Diallo: « Nous invitons la CEDEAO à éviter les traitements paracétamol », La Tribune Afrique, 14 octobre 2022, Disponible ici.

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