Interview de Maître Charlie Magri
Réalisée par les étudiantes du master 2 ADH Marianne Perez et Clémence Lafont.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?
Charlie Magri, avocat inscrit au Barreau de Marseille et fondateur du cabinet Otherside, spécialisé dans la défense et la suppression de notices INTERPOL. Avant de créer ce cabinet, j’ai exercé pendant six ans en tant que juriste au sein du secrétariat de la Commission de Contrôle des Fichiers d’INTERPOL (CCF), un organe indépendant chargé de veiller à la conformité du traitement des données personnelles via les canaux d’INTERPOL avec la réglementation de l’Organisation. Parallèlement, j’interviens en qualité d’Of Counsel pour Grossman Young & Hammond, un cabinet d’avocats américain, où je conseille sur toutes les questions liées à INTERPOL.
Pourriez-vous nous parler de votre travail au sein de la Commission de Contrôle des Fichiers d’INTERPOL (CCF) ? Quelles étaient vos principales responsabilités au quotidien ?
Au sein de la CCF, mon rôle consistait principalement à traiter les demandes de personnes souhaitant la suppression de leurs données des fichiers d’INTERPOL. Cette mission impliquait un examen approfondi de chaque requête, ainsi que la rédaction et la présentation de documents destinés à la Chambre des Requêtes de la Commission, qui se basait sur ces éléments pour ses délibérations et décisions.
Mon travail s’appuyait sur les règles spécifiques d’INTERPOL, notamment la Constitution et le Règlement d’INTERPOL sur le Traitement des Données, tout en intégrant les principes des droits de l’Homme et certaines normes juridiques internationales.
J’étais également chargé d’assister la Chambre de Contrôle et de Supervision dans ses travaux, en rédigeant des rapports sur des questions liées au Règlement sur le Traitement des Données, telles que la création de nouvelles bases de données policières, les fichiers d’analyse criminelle ou encore la coopération entre INTERPOL et des entités privées ou internationales.
Comment exploitez-vous votre expérience au sein de la CCF d’INTERPOL dans votre activité actuelle, et qu’est-ce qui vous a amené à ce changement de carrière ?
Cette expérience m’a permis d’acquérir une connaissance approfondie des règles d’INTERPOL et une compréhension fine de la jurisprudence de la CCF sur les divers dossiers qu’elle examine. Elle m’a également apporté une vision claire et stratégique des processus décisionnels applicables au sein d’INTERPOL.
Ce changement de carrière a été motivé par des considérations logistiques : j’ai quitté Lyon, où se trouve le siège de l’Organisation, pour m’installer dans le sud de la France pendant la période de télétravail instaurée durant la COVID-19. Avec l’évolution de cette politique en 2023, j’ai alors été amené à démissionner.
Qu’est-ce qu’une notice rouge d’INTERPOL, et comment s’inscrit-elle dans les missions de l’organisation ? Quelles sont les raisons les plus fréquentes de son émission ?
Les Notices Rouges sont émises par le Secrétariat Général d’INTERPOL à la demande du Bureau Central National (BCN) d’un pays membre et sont accessibles aux 196 pays membres de l’organisation. Ces notices doivent reposer sur un mandat d’arrêt valide ou une décision judiciaire émanant des autorités du pays requérant. Bien qu’elles constituent des alertes mondiales, elles n’obligent pas les pays membres à procéder à une arrestation, laissant cette décision à l’appréciation des autorités locales.
Pour qu’une Notice Rouge soit émise, elle doit revêtir un intérêt pour la coopération policière internationale, c’est notamment le cas lorsque la personne recherchée est présumée avoir quitté le territoire du pays demandeur. La plupart des infractions peuvent être visées, pourvu qu’elles répondent au critère de gravité défini par l’article 83 du Règlement sur le Traitement des Données : l’infraction doit être passible d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement, ou, si la personne a déjà été condamnée, il doit lui rester au moins six mois de peine à purger.
Quelles sont les conséquences en termes de droits de l’homme pour la personne visée ? Existe-t-il des recours pour les victimes de notices rouges abusives ?
Les Notices Rouges peuvent avoir des conséquences graves, tant sur le plan juridique que personnel, pour les personnes concernées. Elles peuvent entraîner une arrestation provisoire dans tout pays membre d’INTERPOL, exposant les individus à une détention prolongée dans l’attente d’une éventuelle demande d’extradition.
Sur le plan personnel et professionnel, ces notices peuvent imposer des restrictions de déplacement, des interdictions d’entrée dans certains pays, des annulations de visas, et même engendrer des difficultés financières, telles que la fermeture de comptes bancaires. Elles portent également atteinte à la réputation des individus visés, ce qui peut avoir des répercussions durables sur leur vie privée et leurs perspectives professionnelles.
Toute personne estimant qu’une Notice Rouge a été émise de manière injuste peut soumettre une requête à la CCF. Cette requête peut concerner une demande de suppression ou une demande de correction des informations présentes dans les systèmes d’INTERPOL. Les personnes affectées doivent fournir des arguments solides pour démontrer que la notice en question viole les règles d’INTERPOL, telles que la Constitution d’INTERPOL ou le Règlement sur le Traitement des Données. Par exemple, il peut être démontré que la notice a été émise pour des motifs politiques ou que les informations contenues dans la notice sont inexactes.
Recourir à un avocat spécialisé dans les procédures INTERPOL est fortement recommandé pour ce type de requête, en raison de la spécificité et de la technicité des règles de l’Organisation. De surcroît, en l’absence de vrai mécanisme d’appel en cas de décision défavorable de la CCF, le soutien d’un expert est d’autant plus crucial pour maximiser les chances de succès.
Quels sont, selon vous, les réformes nécessaires pour améliorer la procédure des notices rouges ?
J’ai récemment eu l’occasion de participer à un briefing organisé par la Commission sur la Sécurité et la Coopération en Europe (Commission Helsinki), aux côtés de Ted Bromund et Sandra Grossman, afin d’évaluer les abus politiques des mécanismes d’INTERPOL et de discuter de la mise en œuvre du TRAP Act, destiné à lutter contre de tels abus.
Lors de cette intervention, j’ai proposé plusieurs pistes de réformes visant à renforcer les systèmes d’INTERPOL contre les abus politiques, notamment :
Responsabilisation accrue des Bureaux Centraux Nationaux (BCN) : renforcer la formation et la supervision des BCN, garants de la légalité et de l’exactitude des données transmises.
Transparence accrue : publier des statistiques détaillées sur les demandes de notices rouges et les refus, ventilées par pays, pour promouvoir la responsabilité sans cibler spécifiquement des États.
Augmentation des ressources pour la CCF : accroître le personnel de la CCF pour accélérer le traitement des dossiers et publier davantage de décisions anonymisées, qui offrent ainsi un aperçu précieux de la jurisprudence de la Commission.
Ce sont des propositions de réformes pragmatiques, mais il existe de nombreuses autres pistes d’amélioration qu’il serait trop long de détailler ici sans fournir davantage de contexte.
Une retranscription complète de mon intervention est disponible ici.
Des conseils pour les étudiants en droit souhaitant intégrer INTERPOL ?
Je leur recommande de maîtriser les règles de l’Organisation, notamment le Règlement sur le Traitement des Données et la Constitution d’INTERPOL, en accordant une attention particulière aux articles 2 et 3 de la Constitution. Parler deux langues officielles de l’Organisation (Anglais, Français, Espagnol et Arabe) est également un atout précieux.
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