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Jugement de l’Affaire du siècle : une victoire en demi-teinte ?

Le 17 décembre 2018, quatre organisations non gouvernementales, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace, Notre Affaire à tous et Oxfam envoient au gouvernement une « demande préalable indemnitaire » démontrant, depuis des décennies, l’inaction de l’Etat français face au changement climatique, avec l’objectif d’obtenir une réparation des préjudices provoqués par sa politique[1]. Deux mois plus tard, en février 2019, le gouvernement rejette cette demande. Le 14 mars 2019, « l’Affaire du siècle » se transforme en véritable bataille juridique avec le dépôt d’un recours devant le Tribunal Administratif de Paris.


Le 14 octobre 2021, après un premier jugement reconnaissant le manquement de l’Etat français quant au respect de ses engagements, qu’il s’est lui même fixé en vertu des articles L.100-4 du code de l’énergie et L.222-1 du code de l’environnement, sur la réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-2018[2], un deuxième jugement a été rendu par le Tribunal Administratif de Paris. Les juges ont ordonné au gouvernement de « prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages »[3]. Lors du premier jugement, le Tribunal a, en effet, refusé qu’une indemnisation financière soit versée au requérant pour le préjudice écologique sur le fondement de l’article 1249 du code civil, car il n’était pas, selon lui, impossible pour l’Etat de le réparer en nature[4]. Celui-ci a maintenant jusqu’au 31 décembre 2022, soit 14 mois, pour réparer son préjudice. Le jugement précise que « la réparation [...] implique non seulement l’adoption de mesures propres à le faire cesser, mais également que celles-ci soient mises en œuvre dans un délai suffisamment bref pour prévenir l’aggravation des dommages constatés »[5]. Rien n’est cependant précisé quant à la nature des mesures, celles-ci étant laissées à la libre interprétation de l'État[6].


Si l’avancée juridique d’un point de vue environnemental est à souligner, les droits de l’Homme semblent être les grands oubliés de ce jugement. Le Tribunal n’aborde ainsi que très peu la protection des droits de l’homme mis en péril par le dérèglement climatique[7], alors que les ONG ont demandé à la Cour d’astreindre l’Etat à mettre en place des mesures protégeant les droits à l’alimentation, à l’eau, à la santé et à la vie[8]. Il est possible que cet oubli dans le jugement du Tribunal administratif amène des victimes du réchauffement climatique à porter leur affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH). Un tel recours devant la CEDH nécessiterait cependant que les voies de recours internes aient été épuisées et donc que l’affaire soit portée devant le Conseil d’Etat par l’une des parties, ce qui n’a pour le moment pas été soulevé.


Il faut finalement se demander si ce dernier jugement a une réelle portée concrète, ou purement symbolique et diplomatique. Il permet sans aucun doute de reconnaître pour la première fois l’illégalité de l’inaction climatique de l’État français, sa responsabilité dans la crise climatique et le préjudice écologique causé aux multiples victimes. Néanmoins, comment l’Etat va-t-il concrètement agir pour réparer ce préjudice ? Quelle que soit l’action prévue, va-t-elle réduire durablement les émissions de gaz à effet de serre en France ? Des affaires similaires ont eu lieu aux Pays-Bas, en Colombie et au Pakistan[9], menant notamment à l’obligation pour les Etats de protéger les citoyens et l’environnement des activités polluantes et des conséquences du réchauffement climatique au nom des générations présentes et futures. Ces décisions ont été suivies de mesures concrètes ayant un impact direct sur les sociétés[10]. L’Etat français a ici une opportunité à saisir pour faire grandir son influence dans le domaine de l’environnement grâce à une diplomatie plus proactive, opportunité d’autant plus importante avec les élections présidentielles en 2022.


Par FOUQUEAU Océane, GIVELET Emilie, HERVÉ Sandrine, LECLERE Carla et VIALARD Camille.


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RÉFÉRENCES

[1] L’Affaire du Siècle, « L’Affaire au tribunal », laffairedusiecle.net, avril 2021 [disponible ici]. [2] Cécile Radosevic Batardy, « L’affaire du siècle : une avancée significative pour la lutte contre le réchauffement climatique », Village de la justice, 10 février 2021 [disponible ici]. [3] Tribunal administratif de Paris, association Oxfam France, association Notre affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, association Greenpeace France c. France, N°s 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1, 3 février 2021, p.31 [disponible ici] [4] Cécile Radosevic Batardy, « L’Affaire du siècle : une avancée significative pour la lutte contre le réchauffement climatique », Village de la justice, Op.cit. [disponible ici]. [5] Justine Guitton-Boussion, « Victoire pour l’Affaire du siècle : l’État contraint de « réparer le préjudice écologique » », Reporterre, le quotidien de l’écologie, 14 octobre 2021 [disponible ici]. [6] Tribunal administratif de Paris, association Oxfam France, association notre affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, association Greenpeace France c. France, Op.cit, p.31. [disponible ici] [7] Amnesty International, « L’« « Affaire du Siècle » : une victoire pour le climat mais qu’en est-il des droits humains ? », 4 février 2021 [disponible ici]. [8] Amnesty International, « Pourquoi le dérèglement climatique menace-t-il aussi les droits humains? », 2021 [disponible ici]. [9] L’Affaire du siècle, « Colombie, Pakistan, Pays-Bas : la justice agit déjà ! », 2021 [disponible ici]. [10] Par exemple : l’adoption de lois climatiques, l’établissement d’une commission sur le changement climatique et de pacte intergénérationnel pour la protection de la nature…

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