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La compétence universelle : une solution face à l’impunité pour les crimes commis en Syrie ?


Lundi 5 octobre 2020, trois ONG ont déposé auprès du parquet de Karlsruhe en Allemagne une plainte pour crimes contre l’humanité à l’encontre du régime syrien sur le fondement de la compétence universelle. Cette plainte vise deux attaques chimiques perpétrées au gaz sarin. Les requérants espèrent que des mandats d’arrêt internationaux seront émis à l’encontre des responsables. Depuis le début du conflit, les violations des droits humains et du droit humanitaire par les différentes parties sont pour la plupart restées impunies. En l’état actuel des choses, il est très difficile d’obtenir justice en Syrie. Au plan international, la Cour pénale internationale (CPI) ne peut être saisie, la Syrie n’étant pas partie au Statut de Rome. D’autre part, une saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité des Nations Unies est inenvisageable en raison des vetos de la Chine et de la Russie déjà opposés en 2014. Face à tous ces obstacles, il reste aux victimes syriennes la possibilité de s’en remettre aux juridictions d’États ayant intégré la compétence universelle à leur législation, ce qui est le cas de l’Allemagne. Cependant la reconnaissance de la compétence universelle comme solution aux lacunes de la justice pénale internationale n’est pas si évidente.


La compétence universelle absolue se définit comme la capacité des juridictions d’un État de poursuivre l’auteur présumé de certains crimes sans considération pour leur lieu de commission et quelle que soit la nationalité de l’accusé ou celle des victimes. Le but est de lutter contre l’impunité des individus qui ont commis des violations graves des droits humains et ont pu échapper à la justice nationale pour diverses raisons. La compétence universelle découle parfois de traités internationaux et est alors obligatoire pour les États. C’est le cas pour les crimes de guerre[1]. Peu d’États prévoient des procédures pour l’application effective de cette compétence. Toutefois, certains, comme l’Allemagne et la France[2], ont mis en place des voies de recours efficaces qui ont permis à plusieurs victimes syriennes de s’en remettre à leurs systèmes judiciaires. L’Allemagne a en effet adopté en 2002 un Code pénal de droit international qui consacre, en son article premier, la compétence universelle. Ainsi, le chef d’une milice de l’Armée syrienne libre a été jugé coupable de crimes de guerre devant un tribunal régional allemand en 2018. D’autre part, quatre mandats d’arrêt internationaux ont été émis par l’Allemagne et la France, en 2018, contre des membres des services de renseignement du régime syrien.

Toutefois, les plaignants fondant leur requête sur la compétence universelle se heurtent à une série d’obstacles mettant en lumière les limites à l’efficacité de celle-ci. Il est important de rappeler que malgré sa consécration dans plusieurs traités internationaux, elle ne fait pas l’objet d’un consensus. En effet, elle peut être perçue comme participant aux rapports de force se jouant au niveau international. À ce titre, les États-Unis avaient exercé des pressions sur la Belgique jusqu’à ce qu’elle abroge sa loi de compétence universelle suite à des plaintes mettant en cause les commanditaires de l’intervention en Iraq de 2003 – dont l’ancien Président George Bush – devant les juridictions belges. Par ailleurs, l’Union Africaine a dénoncé en 2008 l’utilisation « abusive » de la compétence universelle par les États européens à l’encontre de dirigeants africains, notamment rwandais[3]. Ces tensions se retrouvent dans les législations souvent limitatives des États consacrant la compétence universelle. En Allemagne, le principe de double subsidiarité implique l’épuisement des voies de recours de chaque État potentiellement compétent ainsi que des voies de recours internationales[4]. De plus, pour certains crimes internationaux commis sans lien de rattachement avec l’Allemagne, le procureur fédéral dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de donner, ou non, suite à l’affaire[5]. La plainte déposée le 5 octobre entre dans le champ d’application de ce pouvoir discrétionnaire. Les victimes peuvent également être confrontées à des questions d’immunités. En Allemagne, le procureur fédéral avait refusé de donner suite à une plainte déposée en 2003 impliquant l’ancien Président chinois Jiang Zemin dans des crimes contre l’humanité. Il est intéressant de rappeler que la Belgique avait vu sa responsabilité engagée devant la Cour internationale de justice (CIJ) suite à l’émission d’un mandat d’arrêt international à l’encontre du ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo[6].


Ainsi, les plaintes fondées sur la compétence universelle n’aboutissent que dans des cas limités. Concernant les victimes syriennes, il sera difficile de donner suite à leur plainte dès lors que les accusés ne se trouvent pas sur le territoire de l’État. On pourrait envisager la création d’un Tribunal ad hoc pour la Syrie, qui permettrait de rendre justice aux victimes du conflit. Mais cette solution se heurte aux vetos de la Chine et de la Russie au Conseil de sécurité. Une dernière alternative serait l’aboutissement de la menace de saisine de la CIJ par les Pays-Bas. En effet, cela pourrait conduire à une reconnaissance de la responsabilité du régime syrien dans la commission de crimes internationaux. Cependant, la CIJ n’est compétente que pour juger les États. De ce fait, les victimes des groupes et milices armés ayant opéré en Syrie ne pourront obtenir justice de cette façon.


Zoya Atwi, Julia Bourget, Maigane Etienne, Léa Gastaut, Tara Ibrahim


BIBLIOGRAPHIE

WIEDER (T.), « En Allemagne, le procès historique des tortures dans les prisons du régime syrien », Le Monde, 23 avril 2020.


WIEDER (T.), ZERROUKY (M.), « Crimes contre l’humanité : trois Syriens arrêtés en France et en Allemagne », Le Monde, 14 février 2019.


MATHIEU (L.), « Syrie : une plainte déposée pour crimes contre l’humanité en Allemagne », Libération, 6 octobre 2020.


VAN DEN BERG (J.), ANDERSON (J.), « Pourquoi les Pays-Bas menacent de poursuivre la Syrie en justice », justiceinfo.net, 22 septembre 2020.


MARTY (L.), « La justice syrienne en transition », Esprit, vol. juillet-août, no. 7, 2018, pp. 19-23.


GATHELIER Ariane. « La compétence universelle en droits allemand et français, approche comparative ». Mémoire Master 2 : Droit international et européen spécialité droit allemand : Université Paris Ouest Nanterre La Défense : 2012-2013.


Amnesty International, Qu’est-ce que la compétence universelle ? : https://www.amnesty.fr/focus/competence-universelle.



Compétence universelle, un dossier électronique du centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles : https://competenceuniverselle.wordpress.com.


Institut d’études sur le droit et la justice dans les sociétés arabes, un état des lieux de la justice en Syrie : https://iedja.org/un-etat-des-lieux-de-la-justice-en-syrie/.


ONU info, Syrie : le Conseil de sécurité rejette un projet de résolution sur une saisine de la CPI : https://news.un.org/fr/story/2014/05/289522-syrie-le-conseil-de-securite-rejette-un-projet-de-resolution-sur-une-saisine-de.


CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14 février 2002.

[1] Première Convention de Genève (1949), article 49 ; Deuxième Convention de Genève (1949), article 50 ; Troisième Convention de Genève (1949), article 129 ; Quatrième Convention de Genève (1949), article 146 ; Protocole additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949, article 85 § 1. [2] Code de procédure pénale français, articles 689 et suivant. [3] Conférence de l’Union Africaine, onzième session ordinaire, 30 juin – 1 juillet 2008. [4] Code de procédure pénale allemand, article 153(f). [5] Ibid. [6] CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14 février 2002.

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