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La diplomatie française au Moyen-Orient

La diplomatie française au Moyen-Orient : menace à la protection des droits humains ou opportunité stratégique ?


« C’est le plus gros contrat à composante française de notre histoire », se félicitait Emmanuel Macron à propos de l’accord historique passé entre l’entreprise française Dassault Aviation et la Fédération des Émirats Arabes Unis. Cet accord conclu ce vendredi 3 décembre prévoit notamment la vente de 80 avions de chasse Rafale, fleuron de l’aviation française[i]. L’implication de la France dans l’acquisition de l’arsenal militaire des pays du Golfe n’est pas un phénomène récent. En effet, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats Arabes Unis figurent parmi les clients les plus importants de l’industrie militaire française, et ce depuis les années 1990[ii].

Au-delà de l’opportunité économique et politique que représente ce nouveau « contrat du siècle »[iii], juristes humanitaires et activistes des droits de l’Homme se questionnent sur la menace que fait peser la France sur les populations potentiellement prises pour cibles par les gouvernements autoritaires de la péninsule arabique[iv]. Ce contrat est d’autant plus mal perçu par ces derniers du fait de la rencontre, ce samedi 4 décembre, entre le Président français et Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite tenu responsable du meurtre d’un opposant politique le 2 octobre 2018[v] ; entretenant ainsi le musellement de la liberté d’expression dans cette région du globe.

Par conséquent, la question se pose de savoir si, au regard du droit international humanitaire, la défense des intérêts stratégiques de la France à l’étranger justifie de faire peser indirectement une menace sur la protection des Droits de l’Homme.


Le commerce licite des armes apparaissant comme la source principale de cette menace, il est apparu nécessaire d’en réguler les échanges. L’Assemblée générale des Nations Unies adopte le 2 avril 2013 le Traité sur le Commerce des Armes (TCA)[vi], auquel la France fait partie. Il interdit notamment aux États parties de vendre de l’armement dont l’usage aura pour conséquence la violation d’une norme de droit international humanitaire. En ce sens, l’article 6 §3 énonce : « aucun État partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques [...] s’il a connaissance, au moment où l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des convention de Genève de 1949, des attaques dirigés contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tel, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie ».

Or, il semblerait qu’une coalition formée par l’Arabie Saoudite, réunissant notamment le Qatar et les Émirats Arabes Unis, se soit rendue coupable de nombreuses violations du droit international humanitaire dans le cadre du conflit au Yémen et ce, probablement à l’aide du matériel militaire fourni par les puissances occidentales telle que la France[vii]. De ces allégations, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies publie un rapport lors de sa 42ème session dans lequel il appelle les États parties à « prendre toutes les mesures raisonnables voulues pour garantir que toutes les parties au conflit respectent le droit international humanitaire, en tenant compte de leur degré d’influence ; s’abstenir, en particulier, de fournir des armes qui pourraient être utilisées dans le conflit »[viii]. Le but étant de faire appliquer les dispositions du TCA.

Cependant, ce traité n’entraine qu’un examen de responsabilité morale fondé sur les déclarations officielles des Etats. À l’heure actuelle, toutes les tentatives de régulation du commerce des armes à l’usage détourné par les instances gouvernementales internationales manquent de poids. En effet, ces rapports, bien que symptomatiques d’un phénomène dont la gravité sur le plan humanitaire n’est plus à prouver, ne détiennent aucune valeur contraignante et n’ont pas un effet suffisant pour endiguer une industrie aussi dynamique que celle de la vente d’arme, en particulier pour la France pour qui ce secteur représentait des exportations d’environ 10 milliards d’euros en 2020[ix].

Ainsi, entre la réhabilitation d’un chef d’État autoritaire bridant la liberté d’expression de ses citoyens et la complicité d’exactions commises à l’encontre du peuple yéménite par la vente d’armes aux oppresseurs, la diplomatie française au Moyen-Orient fait définitivement peser une réelle menace à la promotion et à la protection des droits de l’Homme dans la région.



Par Théo LOZANO, Emma BASSI,

Julien LAMY, Laura LEONARDI, Cassandra OBOUSSIER



REFERENCES


[i] Véronique Guillermard, « Dassault Aviation signe un contrat historique avec les Émirats arabes unis », Le Figaro Économie, 4 décembre 2021, consultable ici

[ii] Observatoire économique de la Défense, « Annuaire statistique de la défense 2012-2013 », Secrétariat Général pour l’administration, 2013

[iii] Cf.M-P. DESSET, « L’Australie le « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français », Le Monde, 16 septembre 2011, consultable ici

[iv] Amnesty International, « La France toujours l’un des plus gros fournisseurs de l’Arabie Saoudite », 12 mars 2020, consultable ici ; Amnesty International, « La France continue d’alimenter en armes le conflit au Yémen », 11 juin 2020, consultable ici

[v] « Assassinat de Jamal Khashoggi : le prince héritier saoudien à « validé » l’opération, selon les renseignements américains », Le Monde, 26 février 2021, consultable ici

[vi] Traité sur le commerce des armes, New-York, 2 avril 2013, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol 3013, No. 52373, p.269, consultable ici

[vii] Groupe d’experts éminents internationaux et régionaux sur le Yémen, rapport du 3 septembre 2019, « Yémen. Échec collectif, responsabilité collective, consultable ici

[viii] Rapport annuel du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapport du Haut-commissariat et du Secrétaire général, Conseil des droits de l’homme 42ème session, A/HRC/42/17, 9 août 2019, consultable ici

[ix] Synthèse annuelle : les résultats de l’année 2020, Direction générale des douanes et droits indirects, consultable ici

BIBLIOGRAPHIE

I. Articles


- Amnesty International, « La France toujours l’un des plus gros fournisseurs de l’Arabie Saoudite », 12 mars 2020 ·

- Amnesty International, « La France continue d’alimenter en armes le conflit au Yémen », 11 juin 2020 · DESSET (M-P.), « L’Australie le « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français », Le Monde, 16 septembre 2011 ·

- France 24, « Yémen : tous les belligérants sont coupables de “crimes de guerre“, affirme l’ONU », France 24, 3 septembre 2019 ·

- GUILLERMARD (V.), « Dassault Aviation signe un contrat historique avec les Émirats arabes unis », Le Figaro Économie, 4 décembre 2021 .

- Le Monde avec AFP, « Assassinat de Jamal Khashoggi : le prince héritier saoudien à « validé » l’opération, selon les renseignements américains », Le Monde, 26 février 2021 .

II. Document des Nations Unies


· Assemblée générale des Nations-Unies, Conseil des droits de l’homme, 42ème session, A/HRC/42/17, Rapport annuel du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapport du Haut-commissariat et du Secrétaire général, 9 août 2019 : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/240/88/PDF/G1924088.pdf?OpenElement

III. Traité


· Traité sur le commerce des armes, New-York, 2 avril 2013, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol 3013, No. 52373

IV. Site internet

· Direction générale des douanes et droits indirects, Synthèse annuelle : les résultats de l’année 2020 : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/conjoncture/structure.asp


· Ministère de la Défense, « Annuaire statistique de la défense 2012-2013 » : https://www.defense.gouv.fr/content/download/210241/2333433/Annuaire statistiques de la défense 2012-2013.pdf

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