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Le principe de non-refoulement : une remise en cause croissante, appuyée par l’actualité

Le principe de non-refoulement : une remise en cause croissante, appuyée par l’actualité internationale


Le 23 février 2021, la Malaisie a renvoyé 1086 migrants myanmarais hors de son territoire, venus chercher un refuge et une meilleure protection de leurs droits fondamentaux[i] suite au violent coup d'État militaire du 1er février 2021[ii]. Malgré l’interdiction de cette déportation par la Haute Cour de Kuala Lumpur au nom du principe de non-refoulement, le gouvernement malaisien a coopéré avec la Navy myanmaraise afin de les expulser[iii]. Cet exemple qui semble relativement isolé illustre pourtant une tendance plus générale : celle du recul de la protection liée au principe de non-refoulement.


Principe coutumier du droit international[iv] et codifié à l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, le non-refoulement protège un individu, ayant la qualité de réfugié ou non, contre le transfert, le renvoi, l’expulsion ou l’extradition d’un État à un autre « lorsqu'il y a des motifs sérieux de croire que cette personne risque de subir un préjudice irréparable en cas de retour »[v]. Inscrit dans plusieurs conventions internationales des droits de l’Homme[vi], ce principe implique que l’État doit protéger les migrants sous sa juridiction ou son contrôle effectif. D’une part, il ne doit pas les renvoyer ; d’autre part, il doit leur octroyer certaines garanties procédurales fondamentales[vii]. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés, bien que le principe de non-refoulement protège majoritairement contre des menaces individuelles, il peut également s’appliquer « contre des menaces plus situationnelles », liées à un conflit armé par exemple[viii]. Néanmoins, le recul de ce principe cardinal issu des droits de l’Homme semble se confirmer depuis plusieurs années, comme en témoignent l’actualité politique internationale et la jurisprudence régionale.


L’actualité internationale, avec l’exemple des migrants déportés vers le Myanmar, illustre bien cette remise en question grandissante du principe de non-refoulement par les États. Au Myanmar, les violations des droits humains sont nombreuses : elles sont notamment corrélées au conflit armé et à une insécurité multidimensionnelle – alimentaire, sociale et économique[ix]. La Malaisie, par cette déportation, expose ces 1086 migrants à des dommages irréparables et ne respecte donc pas l’obligation de non-refoulement. D’ailleurs, cette obligation de protéger les migrants n’est pas non plus observée dans les autres parties du monde. Les nombreux pushbacks effectués en Amérique latine[x] et en mer Méditerranée[xi] prouvent sa violation répétée. Cette remise en cause se ressent également dans diverses jurisprudences, et en particulier dans celle de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH), alors même qu’elle est la Cour la plus protectrice du principe de non-refoulement[xii].


En effet, en parallèle de l’augmentation des refoulements dans l’actualité internationale, la CourEDH devient elle-même plus restrictive dans son interprétation du principe de non-refoulement. Avec son arrêt N. contre Royaume-Uni[xiii], la Cour revient sur sa jurisprudence innovante, qui affirmait qu’un État viole par ricochet l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) s’il renvoie un migrant gravement malade vers son pays d’origine alors que celui-ci risque d’y décéder dans des circonstances particulièrement douloureuses[xiv]. En l’espèce, la Cour a pourtant confirmé l’expulsion de la requérante ougandaise atteinte du sida[xv]. Plus récemment, l’arrêt du 13 février 2020, ND et NT contre Espagne[xvi], témoigne d’une interprétation encore plus stricte du principe de non-refoulement. En l’espèce, les requérants malien et ivoirien avaient tenté de pénétrer sur le territoire espagnol, avant d’être renvoyés au Maroc, sans procédure d’identification. La Grande Chambre conclut à l’absence de violation de la CEDH, notamment parce que les migrants n’ont pas utilisé « les voies légales existantes pour accéder de manière régulière au territoire espagnol »[xvii]. En réaffirmant que « la Convention a pour but de garantir aux personnes se trouvant sous sa juridiction des droits non pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs »[xviii], la Cour semble ignorer les risques de préjudice irréparable que les requérants couraient dans leur pays d’origine[xix]. Par sa jurisprudence récente, la Cour limite donc de plus en plus la protection offerte par le principe de non-refoulement et confirme le recul dans son application effective.

Ainsi, le cas des migrants refoulés par la Malaisie ne semble être qu'un des multiples exemples démontrant une systématicité croissante de la pratique du refoulement dans le monde. Il est d’ailleurs vraisemblablement symptomatique d’un problème plus large, lié à la gestion inadaptée des flux migratoires et de l’accueil des migrants fuyant leur pays d’origine[xx].


Par Flore HEINRICH, Pauline LABORDE, Eva PAWLOWSKI, Elisa POTHEE, Alice VOUHE


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RÉFÉRENCES

[i] “Myanmar coup: MPs urge UN to investigate ‘gross human rights violations’”, BBC News, 12 February 2021 [available here]. [ii] “Malaysia : UN experts appalled by deportation of migrants to Myanmar despite court order”, ReliefWeb, 24 February 2021 [available here]. [iii] “Malaysian court delays deportation of 1,200 Myanmar migrants”, Alarabiya News [available here]. [iv] Tilman Rodenhäuser, “The principle of non-refoulement in the migration context: 5 key points”, Humanitarian Law and Policy – ICRC blog, 30 March 2018 [available here]. [v] Les violations des droits de l’Homme généralement protégées sont : les atteintes à la vie ou à l’intégrité physique en cas de torture et traitements cruels, inhumains et dégradants, le déni flagrant du droit à un procès équitable, les risques de violations des droits à la liberté de la personne, les formes graves de violence sexuelle et sexiste, la peine de mort ou le couloir de la mort, les mutilations génitales féminines, l'isolement cellulaire prolongé, des conditions de vie dégradantes, l'absence de traitement médical, ou des maladies mentales. Voir la jurisprudence correspondante dans : United Nations High Commissioner for Refugees, “The principle of non-refoulement under international human rights law” [available here]. [vi] Le non-refoulement est également inscrit dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’article 3 et dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées à l’article 16. Dans : United Nations High Commissioner for Refugees, “The principle of non-refoulement under international human rights law”, op. cit. [vii] Concernant les garanties procédurales, on peut citer le droit à un recours effectif, le droit à être informé de la décision de transfert ou de retour et la possibilité de contester cette décision devant un organe indépendant et impartial. Compte tenu de la gravité du danger en jeu, les retours devraient être suspendus en attendant une décision. L’État n’est en revanche pas dans l’obligation d'accorder le statut de réfugié à la personne non refoulée. Dans : Tilman Rodenhäuser, “The principle of non-refoulement in the migration context: 5 key points”, op. cit. [viii] UNHCR, “Guidelines on International Protection No. 12 on claims for refugee status related to situations of armed conflict and violence”, 2 December 2016 [available here]. Voir également la décision de la CourEDH, N.A c. the United Kingdom, Requête no25904/07, 17 juillet 2008, §115 [accessible ici]. [ix] “Myanmar Humanitarian Needs Overview”, ReliefWeb, 20 December 2019 [available here]. Cette insécurité multidimensionnelle a été renforcée par le coup d’État du 1er février 2021, qui a entrainé de grandes violences dans le pays. Voir « Les birmans sous le choc au lendemain des violences les plus meurtrières depuis le coup d’État », France 24, 21 février 2021 [accessible ici]. [x] “Mexican police push back hundreds of US-bound migrants”, BBC News, 24 January 2020 [available here]. 9000 Honduriens ont été refoulés à la frontière mexicaine le 17 janvier 2020, donnant ainsi une idée de l’ampleur de la migration. Voir aussi : « Des milliers de migrants honduriens bloqués au Guatemala après avoir réussi à passer la frontière », Le Monde avec AFP, 17 janvier 2021 [accessible ici]. [xi] “Migrants : IOM urges end of pushbacks, violence at EU borders”, InfoMigrants, 15 February 2021 [available here]. Environ 980 personnes seraient mortes pendant leur traversée de la Méditerranée en 2020. [xii] Başak Çali et al., “Hard Protection through Soft Courts? Non-Refoulement before the United Nations Treaty Bodies”, German Law Journal, April 2020 [available here] : les auteurs affirment que “in many respects, the European Court of Human Rights may be characterized as the vanguard institution on non-refoulement, offering the first forum to enhance the enforceability of the norm, and substantively leading the development of international law at the outset”. Parmi les arrêts les plus emblématiques de la Cour sur le non-refoulement, on peut citer : CourEDH, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, Requête no27765/09, 23 février 2012 [accessible ici] ; CourEDH, Soering c. Royaume-Uni, Requête no14038/88, 7 juillet 1989 [accessible ici] ; CourEDH, Chahal c. Royaume-Uni, Requête no22414/93, 15 novembre 1996 [accessible ici] ; CourEDH, D. c. Royaume-Uni, Requête no30240/96, 2 mai 1997 [accessible ici]. [xiii] CourEDH, arrêt N. c. Royaume-Uni, Requête no26565/05, 27 mai 2008 [accessible ici]. [xiv] L’article 3 de la CEDH interdit la torture et autres traitements inhumains, cruels et dégradants. Nicolas Klausser, « Malades étrangers : la CEDH se réconcilie (presque) avec elle-même et l’Humanité », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 2 février 2017 [accessible ici]. [xv] La Cour a conclu de cette manière aux motifs que la requérante « [n’était] pas (…) dans un état critique » et qu’il n’y avait pas « de circonstances très exceptionnelles ». Dans : CourEDH, arrêt N. c. Royaume-Uni, op. cit., §50 et §51. [xvi] CourEDH, arrêt N.D. et N.T. c. Espagne, Grande Chambre, Requêtes nos 8675/15 et 8697/15, 13 février 2020 [accessible ici]. [xvii] Ibid., §231. La Cour conclut, plus précisément, à une non-violation de l’article article 4 du Protocole n° 4 (interdiction des expulsions collectives) et de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la CEDH. [xviii] Ibid., §221. [xix] Notamment, le ressortissant malien a fui son pays « en raison du conflit armé de 2012 », qui était tristement toujours aussi violent en 2020. Dans : Ibid., §22. [xx] Sur ce sujet, voir : Annick Pijnenburg, “Containment Instead of Refoulement: Shifting State Responsibility in the Age of Cooperative Migration Control?”, Human Rights Law Review, June 2020 [available here].

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