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Le projet de création d’un tribunal spécial pour le conflit russo-ukrainien

Le projet de création d’un tribunal spécial pour le conflit russo-ukrainien : une nouvelle perspective pour le droit international pénal ?


Si l'offensive russe du 24 février 2022 a entraîné une médiatisation du conflit russo-ukrainien, celui-ci n'est pas récent[1]. En effet, dès 2014 le sort de la région de la Crimée est une source de conflit majeure entre ces deux États : celle-ci a proclamé son indépendance le 11 mars 2014 vis-à-vis de l’Ukraine. Le 16 mars de la même année, organise un référendum pour décider de son rattachement à la Russie. Cependant, le conflit prend une autre tournure en janvier 2022 lorsque la Russie négocie avec l’OTAN pour empêcher l’adhésion de l’Ukraine à cette alliance. C’est donc le 24 février 2022, après avoir reconnu la souveraineté des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk, que le Président Russe Vladimir Poutine décide de mener une opération militaire dans celles-ci au nom de la légitime défense[2].

Le 13 mai 2022, l’Ukraine, avec le soutien des pays du G7 et du Conseil de l’Europe, a réclamé la création d’un tribunal spécial international pour le crime d’agression commis par la Russie[3]. Malgré l’enquête ouverte par la Cour Pénale Internationale (CPI) le 2 mars 2022, force est de constater que les États ne semblent pas s’en satisfaire. Si la communauté internationale condamne en majorité les actions de la Russie en Ukraine[4], les moyens pour y parvenir ne font pas l’unanimité. Il paraît donc intéressant de se demander si la création d’une juridiction ad hoc ne démontre pas un échec de la CPI dans le jugement des crimes internationaux puis de se questionner sur la pertinence d’une telle volonté.

La volonté de créer une nouvelle juridiction ne représente pas en soi un échec de la CPI car celle-ci s’inscrit dans un cadre de complémentarité. Elle en démontre toutefois les limites et surtout les failles. En effet, il est difficile pour la CPI de se saisir de crimes d’agression, et ce à cause des conditions posées par le Statut de Rome[5]. Il semble de même évident qu’une telle création ne soit pas « désintéressée »[6] car soutenue majoritairement par le « bloc occidental »[7]. Ainsi, il est pertinent de s’interroger sur l’objectivité et l’impartialité d’un tel tribunal : il manque à ce jour les informations nécessaires pour pouvoir se prononcer sur ces sujets (choix des règles applicables, composition, désignation des juges,…)[8]. Trop d’incertitudes perdurent aujourd’hui pour ne pas craindre le retour d’une justice des vainqueurs[9].

Toutefois, l’idée de créer un nouveau tribunal spécial n’est pas dénuée d’intérêt : celui-ci peut être, au contraire, prometteur. Effectivement, l’objectif de ce type de juridiction est de favoriser une justice de proximité[10] et de rendre des décisions plus rapides. Elle participerait ainsi à la dissuasion dans la commission des violations du droit international humanitaire mais aussi à la lutte en temps réel contre l’impunité des dirigeants impliqués dans ce conflit. On entrerait alors dans un nouveau paradigme dans le processus de création du droit pendant le conflit et non plus après. De plus, il présente des avantages techniques tels que son coût moindre[11] et il peut être un moyen de désencombrer la CPI. Ce projet de tribunal harmoniserait de ce fait les différents recours réalisés aux niveaux nationaux et internationaux[12].

Ainsi, la création d’une nouvelle juridiction pourrait compléter le système juridique international en se saisissant notamment du crime d’agression, difficilement incriminable devant la CPI. Cependant, il peut être opportun de douter de la réelle nécessité d’une juridiction supplémentaire quant à ce conflit et du caractère réaliste de ce projet. En effet, il semble difficile d’imaginer que la Russie accepte la compétence d’un tribunal ad hoc alors qu’elle n’accepte déjà pas celle de la CPI[13].

Néanmoins, cela ne rend pas impossible la prise de décisions juridiques concernant les crimes de guerre[14], les crimes contre l’humanité[15] ainsi que le crime de génocide[16] : « près d’une vingtaine de pays ont déjà ouvert des enquêtes sur les exactions commises en Ukraine dont certains de leurs ressortissants ont été victimes »[17] . Des procès ont déjà eu lieu, notamment à Kiev le 18 mai[18], et continueront d’être menés et ce grâce au principe d’universalité consacré par le Statut de Rome adopté par 160 pays[19].

La possibilité de condamner les responsables d’un État membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU consacrerait un nouveau précédent : serait-ce l’ébauche d’un nouveau souffle de la justice internationale ?



Justine BAJARD

Clara HERMIER

Morgane PARIS

Emma SAVIGNARD

Olivia ZONGO


BIBLIOGRAPHIE :

Articles :


- Jean-Marc SOREL, « Les tribunaux pénaux internationaux, Ombre et lumière d’une récente grande ambition », CAIRN INFO, 2011.



- Nations Unies, « L’Assemblée générale adopte une résolution exigeant un arrêt immédiat des hostilités par la Russie contre l’Ukraine », ONU Info, 24 mars 2022. https://news.un.org/fr/story/2022/03/1117042. Consulté le 11 octobre 2022.


-Stéphanie MAUPAS, « L’Ukraine réclame la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression », LeMonde, 21 mai 2022. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/21/l-ukraine-reclame-la-creation-d-un-tribunal-special-sur-le-crime-d-agression_6127103_3210.html. Consulté le 11 octobre 2022.


- Cécilia VIDOTTO LABASTIE, Georgina WRIGHT, « Ukraine, Russie : remonter le temps du conflit », Institut Montaigne, 24 mai 2022. https://www.institutmontaigne.org/blog/ukraine-russie-remonter-le-temps-du-conflit


-Miren LARTIGUE, « Juger les crimes de guerre en Ukraine : une mobilisation judiciaire sans précédent », Dalloz Actualité, 15 juin 2022.


-Margaux OTTER, « Cour Pénale internationale ou tribunal spécial : quelle instance pour juger les crimes russes en Ukraine ? », L’OBS, 22 septembre 2022. https://www.nouvelobs.com/monde/20220922.OBS63517/cour-penale-internationale-ou-tribunal-special-quelle-instance-pour-juger-les-crimes-russes-en-ukraine.html. Consulté le 10 octobre 2022.


-Julian FERNANDEZ, « Guerre et justice pénale internationale : au défi de la concordance des temps », La Semaine Juridique Edition générale n°39, Octobre 2022.


- Alexandra BRZOZOWSKI, « Guerre en Ukraine : les pays baltes demandent un tribunal spécial pour les « crimes d’agression » russes, Euractiv, 17 Octobre 2022. https://www.euractiv.fr/section/monde/news/guerre-en-ukraine-les-pays-baltes-demandent-un-tribunal-special-pour-les-crimes-dagression-russes/. Consulté le 08 Novembre 2022.



Sources juridiques :


- Cour Pénale Internationale, Les États parties au statut de Rome. https://asp.icc-cpi.int/fr/states-parties/eastern-european-states.



- Cour internationale de justice, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance, 16 Mars 2022, CIJ Recueil 2022.


[1]Cécilia VIDOTTO LABASTIE, Georgina WRIGHT, « Ukraine, Russie : remonter le temps du conflit », Institut Montaigne, 24 mai 2022. https://www.institutmontaigne.org/blog/ukraine-russie-remonter-le-temps-du-conflit [2] CIJ, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance, 16 Mars 2022, CIJ Recueil 2022, par.39. [3] Stéphanie MAUPAS, « L’Ukraine réclame la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression », Le Monde, 21 mai 2022. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/21/l-ukraine-reclame-la-creation-d-un-tribunal-special-sur-le-crime-d-agression_6127103_3210.html. Consulté le 11 octobre 2022. [4] Nations Unies, « L’Assemblée générale adopte une résolution exigeant un arrêt immédiat des hostilités par la Russie contre l’Ukraine », ONU Info, 24 mars 2022. https://news.un.org/fr/story/2022/03/1117042. Consulté le 11 octobre 2022. [5] Cour Pénale Internationale, Statut de Rome, 1998, Rome. Article 15 bis. https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf [6] Julian FERNANDEZ, « Guerre et justice pénale internationale : au défi de la concordance des temps », La Semaine Juridique Edition générale n°39, Octobre 2022. [7] Alexandra Brzozowski, « Guerre en Ukraine : les pays baltes demandent un tribunal spécial pour les « crimes d’agression » russes, Euractiv, 17 Octobre 2022. https://www.euractiv.fr/section/monde/news/guerre-en-ukraine-les-pays-baltes-demandent-un-tribunal-special-pour-les-crimes-dagression-russes/. Consulté le 08 Novembre 2022. [8] Miren LARTIGUE, « Juger les crimes de guerre en Ukraine : une mobilisation judiciaire sans précédent », Dalloz Actualité, 15 juin 2022. P. 4. [9] Margaux OTTER, « Cour Pénale internationale ou tribunal spécial : quelle instance pour juger les crimes russes en Ukraine ? », L’OBS, 22 septembre 2022. https://www.nouvelobs.com/monde/20220922.OBS63517/cour-penale-internationale-ou-tribunal-special-quelle-instance-pour-juger-les-crimes-russes-en-ukraine.html. Consulté le 10 octobre 2022. [10] Jean-Marc SOREL, « Les tribunaux pénaux internationaux, Ombre et lumière d’une récente grande ambition », CAIRN INFO, 2011. [11] Nations Unies, « Le coût de la justice », MIFRTP, 2016. https://www.icty.org/fr/le-tribunal-en-bref/le-tribunal/le-cout-de-la-justice?fbclid=IwAR3K5Gbov4Qi-6ix8v-Fs9A70y1h-0hSEmS8xAxMN6zxkA9eqlPJKRYI9RA. Consulté le 10 octobre 2022. [12] Julian FERNANDEZ, « Guerre et justice pénale internationale : au défi de la concordance des temps », La Semaine Juridique Edition générale n°39, Octobre 2022. Op. cit. P. 3. [13] Cour pénale internationale, Les États parties au statut de Rome. https://asp.icc-cpi.int/fr/states-parties/eastern-european-states [14] Cour Pénale Internationale, Statut de Rome, 1998, Rome. Op Cit. Article 8. [15] Ibid. Article 7. [16] Ibid. Article 6. [17] Miren LARTIGUE, « Juger les crimes de guerre en Ukraine : une mobilisation judiciaire sans précédent », Dalloz Actualité, 15 juin 2022. Op. Cit. [18] Ibid. [19] Ibid.

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