Le revirement de l’Espagne sur la question du Sahara occidental
Le revirement de l’Espagne sur la question du Sahara occidental au cœur du bouleversement des relations diplomatiques entre le Maroc, l’Espagne et l'Algérie.
Le gouvernement espagnol a décidé dans un communiqué, vendredi 18 mars, de soutenir le plan d’autonomie pour le Sahara occidental[1] soumis à l’ONU par le Maroc en 2007 et consacrant sa souveraineté sur ce territoire. Dans un message adressé au Roi Mohammed VI, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a affirmé que cette initiative constituait « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend »[2].
Le conflit du Sahara occidental, ex-colonie espagnole considérée comme un territoire non autonome par l’ONU, perdure depuis 1975. Il oppose le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Le Maroc contrôle de facto près de 80% du territoire tandis que le Front Polisario réclame un référendum d’autodétermination.
Depuis son retrait du Sahara occidental en 1975, l’Espagne avait toujours maintenu une position de neutralité vis-à-vis du conflit. Son soutien désormais affiché au plan d’autonomie, constitue par conséquent un revirement historique. Par cette annonce, l’Espagne s’aligne sur la position des États-Unis quant au Sahara occidental[3], mais la symbolique de la décision espagnole est encore plus forte : un tel revirement venant de l’ex puissance coloniale des provinces du sud du Maroc est assurément une victoire stratégique pour le Maroc et un échec cuisant pour l’Algérie et pour la cause de l’autodétermination du peuple sahraoui. Par suite, un tel virage modifie considérablement les relations diplomatiques de l’Espagne avec le Maroc et l’Algérie, et exacerbe les tensions historiques entre ces deux derniers.
D’une part, le communiqué du 18 mars met fin à une crise diplomatique majeure qui a duré près d’un an entre le Maroc et l’Espagne. Celle-ci avait débuté en avril 2021 lorsque le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, atteint du Covid-19, avait été accueilli en Espagne pour y être hospitalisé[4]. En représailles, le Maroc avait décidé d’abaisser la surveillance des frontières sur la côte nord, permettant à des milliers de migrants marocains d’entrer illégalement dans l’enclave espagnole de Ceuta[5]. Le volte-face de l’Espagne sur la question du Sahara occidental lui permet ainsi de normaliser ses relations avec le Maroc, avec pour intérêt d’obtenir de Rabat la maîtrise des flux migratoires.
D’autre part, ce changement radical de position a, a contrario, éveillé les tensions entre l’Espagne et l’Algérie qui en guise de protestation a décidé le 19 mars dernier de rappeler son ambassadeur à Madrid, Saïd Moussi, pour consultations[6]. Qui plus est, le groupe pétro-gazier algérien Sonatrach a évoqué le 1er avril la possibilité de procéder à un « recalcul » des prix du gaz naturel concernant le client espagnol[7]. Cette décision pourrait s’avérer lourde de conséquences pour l’Espagne étant donné que l’Algérie représente sa source d’approvisionnement principale en gaz naturel.
La question du Sahara occidental est la pierre angulaire de la crise diplomatique entre le Maroc et l’Algérie qui usent de la pression diplomatique pour défendre leurs positions respectives. L’Espagne se retrouve dans une position délicate, celle de tempérer les deux parties sans que ses propres intérêts ne soient compromis. À cet égard, les propos tenus par le chef du gouvernement espagnol prouvent que l’Espagne se trouve entre le marteau et l’enclume. Tout en affirmant la nécessité du soutien au plan d’autonomie pour le Sahara occidental, Pedro Sánchez promet de « tout faire pour renouer des relations diplomatiques malheureusement altérées » avec l’Algérie[8].
Le Front Polisario, plus que jamais isolé, se trouve face à une impasse. Il est à noter que malgré les prises de position du gouvernement Trump puis de l’Espagne en faveur du Maroc, aucune institution internationale n’a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Suite au plan d’autonomie déposé à l’ONU par le Maroc en 2007, le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, avait répondu par la résolution 1754[9] en appelant les deux parties à engager des négociations afin de parvenir à une solution « mutuellement acceptable ». La question sensible du Sahara occidental révèle ainsi une véritable scission entre la diplomatie et le droit des institutions internationales.
Par Emilie GIVELET, Sandrine HERVÉ, Hind MGHARFAOUI, Léa IVOULE-MOUSSA
REFERENCES
[1] Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara, soumis le 11 avril 2007 à l’ONU, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [2] Le Monde avec AFP, « L’Espagne et le Maroc mettent fin à une brouille diplomatique majeure liée au Sahara occidental », lemonde.fr, 18 mars 2022, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [3] Le Président américain Donald Trump avait reconnu en Décembre 2020 la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations du Maroc avec Israël. Toutefois, cette reconnaissance est à relativiser : le Congrès, via un communiqué publié par le sénateur Patrick Leahy, a décidé le 18 mars dernier de rejeter cette décision. [4] Le Figaro avec AFP, « Sahara occidental : le chef du Polisario hors de danger », lefigaro.fr, 23 mai 2021, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [5] E. BAUJARD « Ceuta : tout comprendre sur la crise migratoire entre l'Espagne et le Maroc », rtl.fr, 20 mai 2021, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [6] Le Figaro avec AFP, « Sahara occidental: l'Algérie rappelle son ambassadeur à Madrid après un « revirement » de position de l'Espagne », lefigaro.fr, 19 mars 2022, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [7] Le Figaro avec AFP, « Alger évoque une hausse des prix du gaz pour l’Espagne », lefigaro.fr, 1er avril 2022, consulté le 1er avril 2022 [Disponible ici]. [8] Le Point avec AFP, « Pedro Sanchez promet une relation plus solide avec Rabat », lepoint.fr, 23 mars 2022, consulté le 2 avril 2022 [Disponible ici]. [9] Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1754, 5669e séance, S/RES/1754, 30 avril 2007 , consulté le 2 avril 2022 [Disponible ici].
BIBLIOGRAPHIE
● Ouvrages
MOHSEN-FINAN, K., « Trente ans de conflit au Sahara occidental », in Gandolfi Paola, Le Maroc aujourd’hui, Casa editrice il Ponte (Italie), 2008.
CHAPAUX, V., ARTS. K, PINTO LEITE, P., Le droit international et la question du Sahara occidental, Porto, IPJET, 2009.
● Jurisprudence
Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1754, 5669e séance, S/RES/1754, 30 avril 2007.
● Projets
Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara, soumis le 11 avril 2007 à l’ONU
● Articles
Le Monde avec AFP, « L’Espagne et le Maroc mettent fin à une brouille diplomatique majeure liée au Sahara occidental », lemonde.fr, 18 mars 2022.
Le Figaro avec AFP, « Sahara occidental : le chef du Polisario hors de danger », lefigaro.fr, 23 mai 2021.
BAUJARD, E., « Ceuta : tout comprendre sur la crise migratoire entre l'Espagne et le Maroc », rtl.fr, 20 mai 2021.
Le Figaro avec AFP, « Sahara occidental: l'Algérie rappelle son ambassadeur à Madrid après un « revirement » de position de l'Espagne », lefigaro.fr, 19 mars 2022.
Le Figaro avec AFP, « Alger évoque une hausse des prix du gaz pour l’Espagne », lefigaro.fr, 1er avril 2022.
Le Point avec AFP, « Pedro Sanchez promet une relation plus solide avec Rabat », lepoint.fr, 23 mars 2022.
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