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Loujain al-Hathloul : figure emblématique de la lutte féministe saoudienne

La réalité rattrape parfois la fiction. Les mille et une nuits ne font cette fois-ci pas référence aux contes d’Orient mais bien au temps que Loujain al-Hathloul a passé derrière les barreaux, entre mai 2018 et février 2021, pour avoir revendiqué pacifiquement l’octroi de nouveaux droits pour les femmes de son pays, l’Arabie saoudite[i]. Cette jeune défenseure des droits de l’Homme de 31 ans avait déjà passé 73 jours en prison, entre fin 2014 et début 2015, après s’être affichée au volant d’une voiture dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux[ii]. Au cours de cette incarcération, elle fait la connaissance d’autres femmes saoudiennes qui, opprimées toute leur vie en raison de leur genre, étaient également victimes d’un système de tutelle masculine dont Loujain al-Hathloul n’avait jusqu’alors pas cerné l’ampleur. Ces nouvelles réalités finissent d’exacerber la détermination de celle qui s’était d’ores et déjà fortement engagée pour la cause féminine durant ses études à Vancouver. En mai 2018, alors qu’elle poursuivait des études de sociologies à l’antenne de l’université de la Sorbonne à Abu Dhabi, elle est kidnappée et renvoyée contre son gré à Riyad. Assignée à résidence chez ses parents, elle y est de nouveau arrêtée deux mois plus tard et placée en détention provisoire en vue d’un procès pour son « intention de saper la sécurité, la stabilité et l’unité nationale du Royaume »[iii]. Son tort ? Avoir revendiqué plus de droits pour les Saoudiennes, parmi lesquels le droit de conduire, pourtant octroyé un mois plus tard. Le paradoxe est cynique : de nouvelles libertés sont accordées mais des militants sont incarcérés pour avoir osé les revendiquer. L’ironie ne s’arrête pas là. Le réveil de son procès fin 2020, pourtant attendu depuis mars 2019, s’avère n’être en réalité qu’un choix politique concédé à la nouvelle administration américaine[iv].

Loujain al-Hathloul « n’est pas une terroriste, c’est une militante »[v]. Sa condamnation en date du 28 décembre 2020 révèle pourtant qu’en Arabie saoudite, la frontière entre ces deux qualifications est mince, voire inexistante. En effet, le 25 novembre 2020, le procès de la jeune femme a été renvoyé devant le Tribunal pénal spécial[vi], initialement créé dans le cadre de la lutte menée par l’Arabie saoudite contre le terrorisme. Celui-ci s’appuie sur un vaste panel de textes, dont la Loi antiterroriste entrée en vigueur le 3 janvier 2014[vii]. À l’occasion de sa visite en mai 2017, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste s’est dit « préoccupé par la définition excessivement large que l’Arabie saoudite donne du terrorisme et par l’utilisation de la loi antiterroriste (…) à l’encontre des militants des droits de l’homme »[viii]. Bien que ces critiques aient été formulées avant l’amendement en date du 1er novembre 2017, elles restent toutefois d’actualité puisque la nouvelle loi se base sur des concepts tout aussi vagues[ix]. Les juges du Tribunal, d’ores et déjà nommés de façon opaque[x], disposent dès lors d’une marge d’appréciation considérable leur permettant de criminaliser de façon croissante l’exercice pacifique et légitime de libertés fondamentales. Loujain al-Hathloul a ainsi été condamnée à 5 ans et 8 mois de prison pour fait d’« espionnage pour des instances étrangères » et de « conspiration contre le royaume ». Dans les faits, ce Tribunal pénal spécial se révèle n’être finalement qu’un outil de la répression menée par le Royaume en totale contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme[xi].

Bien que Loujain al-Hathloul ait finalement été libérée le 10 février dernier, son combat est loin d’être terminé. Réellement affectée par la qualification de terroriste qui lui a été attribuée, cette dernière est déterminée à user de toutes les procédures légales existantes pour que soit reconnue son innocence et que soit levée sa liberté conditionnelle[xii]. Par ailleurs, comme le rappelle Madawi Al-Rasheed, opposante en exil, « la libération d’une militante importante ne doit pas détourner l’attention du fait que le Royaume compte toujours des centaines de prisonniers d’opinion »[xiii]. Cette réalité, des milliers de militantes saoudiennes l’ont comprise et continuent d’agir anonymement par le biais des réseaux sociaux[xiv]. Elles ont mille et un visages et représentent l’espoir d’un avenir meilleur pour leur pays.


Par Maël Cheref, Marie Kassasseya, Célia Scalabrino, Layla Véron et Rodin Privat Zahimanohy


REFERENCES

[i] Nadda Osman, Loujain al-Hathloul: Saudi activist released from prison, Middle East Eye, 10 février 2021, consultable ici. [ii] Anne Baker, Saudi Arabia’s women can now drive – but activists jailed, ABC News, 23 juin 2018, consultable ici. [iii] Benjamin Barthe, « Le procès de Loujain Al-Hathloul, figure du féminisme saoudien, s’ouvre à Riyad », Le Monde, 12 mars 2019, consultable ici. [iv] Benjamin Barthe, « Sous pression, le pouvoir saoudien a été contraint de libérer la féministe Loujain Al-Hathloul », Le Monde, 11 février 2021, consultable ici. [v] « La Saoudienne Loujain Al-Hathloul bientôt libre malgré sa condamnation ? », Courrier international, 29 décembre 2020, consultable ici. [vi] Amnesty international, « Arabie saoudite : il faut libérer Loujain al-Hathloul sans condition », 26 novembre 2020, consultable ici. [vii] Adoptée par le décret du Conseil des ministres n° 63 du 13/2/1435 en date du 16 décembre 2013. Amnesty international, « Réduire les voix critiques au silence – Des procès politisés devant le Tribunal pénal spécial en Arabie saoudite », 2019, consultable ici. [viii] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « L’Arabie saoudite doit réformer sa loi anti-terroriste et libérer les opposants pacifiques, déclare un expert des droits de l’homme des Nations Unies », 4 mai 2017, consultable ici. [ix] L’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, « Arabie saoudite – Condamnées au silence, la situation des femmes défenseures des droits humains », janvier 2018, consultable ici. [x] Amnesty international, « Réduire les voix critiques au silence – Des procès politisés devant le Tribunal pénal spécial en Arabie saoudite », Op. cit. [xi] L’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, « Arabie saoudite – Condamnées au silence, la situation des femmes défenseures des droits humains », Op. cit. [xii] « Lina al-Hathloul : ‘Ma sœur Loujain al-Hathloul ne renonce pas à demander justice’ », France 24, 13 février 2021, consultable ici. [xiii] Benjamin Barthe, « Sous pression, le pouvoir saoudien a été contraint de libérer la féministe Loujain Al-Hathloul », Op. cit. [xiv] L’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, « Arabie saoudite – Condamnées au silence, la situation des femmes défenseures des droits humains », Op. cit.

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