top of page

Quelle définition pour le terrorisme en droit international ?

Quelle définition pour le terrorisme en droit international ? Analyse de la pratique par le prisme du Conseil de Sécurité et enjeux liés au respect des droits humains


« Il est […] difficile de justifier l’attention prêtée et les ressources allouées à la « lutte contre le terrorisme », suite aux attaques de New York et Washington qui ont [fait] près de 3000 morts, tandis que la mort annuelle de six millions d’enfants de moins de cinq ans pour cause de malnutrition pourrait être enrayée par les ressources économiques et par les techniques existantes. »[i]


Depuis les attaques du 11 septembre 2001, le « terrorisme »[ii] est devenu l’une des préoccupations principales des États. C’est donc tout naturellement que le droit international, fort de son caractère volontariste, s’est avidement emparé de la thématique. Aussi, s’est développée toute une architecture autour de la notion de contre-terrorisme dont le maître d’œuvre est le Conseil de sécurité (CS). Seul décisionnaire en matière de maintien de la paix et la sécurité internationales, il s’est saisi de la question à de multiples reprises. Le CS tire sa légitimité de la Charte des Nations Unies[iii], instrument régissant le jus ad bellum[iv] et novateur en 1945, mais non destiné à faire face aux conflits armés non internationaux et asymétriques dans lesquels le terrorisme prospère. À cela s’ajoute, la rétrospective de vingt années de “war on terror[v] ressassée par les États mettant à mal l’équilibre entre mesures impérieuses de sécurité pour y faire face et respect des droits humains[vi].


L’une des particularités du terrorisme tient du fait qu’il existe diverses définitions nationales et de nombreux mécanismes juridiques et financiers internationaux pour y faire face alors qu’il n’est juridiquement pas défini en droit international. Cette particularité pose un premier problème : sans définition, il est aisé de tomber dans l’instrumentalisation et la politisation de la notion. Le CS s’est cependant essayé à la tache[vii], mais s’est finalement contenté d’exemplifier l’acte terroriste. Là est tout le paradoxe de la notion. Les États, à travers le Conseil ou encore l’Assemblée Générale des Nations Unies[viii], tentent de définir le terrorisme par le prisme de l’acte de terreur alors que le concept de terrorisme est utilisé sur la scène politique et diplomatique pour qualifier l’individu ou le groupe d’individus – cela justifiant ensuite stigmatisations et répressions.


Faut-il donc vraiment définir le terrorisme ? La notion semble a priori trop subjective et trop indéterminée : où tracer la ligne entre « violence légitime » exercée par un groupe dissident et opprimé dans le cadre de l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[ix] et un groupe armé qualifié de terroriste ? Quelle est l’utilité juridique de qualifier un tel groupe de terroriste, cela change-t-il le droit international applicable ? Le flou autour de ces questions se traduit par les différentes mesures prises par les acteurs du droit international et notamment celles du CS qui dévoile – à travers ses résolutions - un certain malaise face à la thématique.


En ce sens, il prône le très discutable[x] recours à la légitime défense en cas d’agression d’un acteur non Étatique pour combattre le terrorisme[xi] et servir la volonté de « représailles » américaine à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Cette résolution est une rampe de lancement légitimant en droit et devant la société internationale, la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis. Dans cette même logique, le Conseil, dans sa résolution 1535, va jusqu’à sur-qualifier le terrorisme de « l’une des plus graves menaces contre la paix et la sécurité́ internationales » alors que la Charte des Nations Unies ne prévoit aucune conséquence juridique particulière pour les menaces « les plus graves »[xii]. Cette déclaration, en réalité politique, sert les intérêts des États et justifie les actions de répression souvent contraires au droit international des droits humains.


En outre, le Conseil se réfère au terme « terroriste » comme étant une catégorie d’individus indépendamment des actes criminels[xiii] alors même qu’il a défini le terrorisme par le prisme de l’acte dans sa résolution 1566. Ici encore, les contradictions du CS permettent aux États d’adopter des mesures nationales répressives et non proportionnées.[xiv]

Enfin, dans sa résolution 2249 de 2015, le Conseil jongle maladroitement entre les régimes et qualifications juridiques en utilisant le vocabulaire du chapitre VII de la Charte sans le mentionner et en demandant aux États « de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément au droit international […] et de coordonner leur action en vue de prévenir et de faire cesser les actes de terrorisme »[xv]. Aussi, la délégation française se félicitera de l’adoption d’une telle résolution en précisant que : « […] le Conseil appelle tous les États Membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer le sanctuaire que Daech a créé en Syrie et en Iraq, mais aussi repousser son idéologie radicale. Cette résolution encadre notre action dans le cadre du droit international et dans le respect de la Charte des Nations Unies »[xvi] alors même que la résolution ne légitime juridiquement aucun recours à la force.


Il ressort de la pratique des 20 dernières années que cette qualification sert souvent de prétexte aux États pour limiter leurs obligations issues du droit international humanitaire (DIH) ou des droits de l’Homme (DIDH)[xvii]. La position de cet article est qu’une définition du terrorisme telle que présentée n’a que peu de sens juridiquement, car bien trop subjective, modulable et indéterminée pour ne pas être instrumentalisée.


La réflexion juridique autour de la notion de terrorisme doit se refocaliser sur l’acte terroriste, soit le modus operandi choisi et non sur la qualification de l’individu en tant que terroriste. Cette distinction subtile permet tout d’abord de rattacher le terrorisme à certains régimes juridiques : ceux du DIH[xviii] et du DIDH[xix]. Ce rattachement sert également à raviver la distinction jus in bello/jus ad bellum que les États, par le prisme du terrorisme notamment, confondent délibérément[xx]. Enfin, cela doit également permettre d’endiguer le processus de stigmatisation et de déshumanisation des individus accusés ou soupçonnés de terrorisme afin de garantir une meilleure protection de leurs droits humains.


Par Célia Faure, Sophie Jager, Blandine Maltese, Eloise Richard et Jean Mazel

___________________________

RÉFÉRENCES

[i] Martti Koskenniemi, La politique du droit international, Paris, Pedone, 2007, p. 331 [ii] Le terme « terrorisme » se réfère non pas à la qualification généralement subjective et instrumentalisée des individus ou groupes d’individu - qui souvent sert les États à déshumaniser ces individus afin de faciliter les violations à leur encontre - mais bien à la qualification des actes répandant la terreur parmi la population civile. [iii] Article 24 et 25 de la Charte des Nations Unies [iv] Le jus ad bellum (droit de faire la guerre) ou jus contra bellum (droit de prévention de la guerre) cherche à encadrer et limiter le recours à la force entre les États. Le cadre normatif du jus ad bellum est prévu par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies. Ce dernier stipule que les États doivent s’abstenir de recourir à la menace ou l’emploi de la force. Il existe cependant des exceptions, notamment le recours à la légitime défense individuelle ou collective prévue par l’article 51 de la Charte ou en cas d’autorisation du Conseil de Sécurité dans le cadre du maintien de la paix prévu par le chapitre VII de la Charte. [v] Notion et doctrine utilisée par l’administration américaine du président G. W. Bush pour répliquer militairement aux attentats du 11 Septembre 2001. « Les États-Unis ont conclu à la nécessité de redéfinir leur approche du droit international humanitaire (en posant le postulat de la caducité des Conventions de Genève), et des normes juridiques internationales en général, présupposant qu'une application ad litteram du droit constituerait un obstacle majeur à la poursuite de ceux qui violent ces normes et principes universels. C'est dans cet esprit que fut initiée la « guerre contre le terrorisme » et dans ce cadre que furent entreprises les interventions militaires américaines. », CAMUS COLOMBE, La lutte contre le terrorisme dans les démocraties occidentales : État de droit et exceptionnalisme, Revue internationale et stratégique, vol. 66, no. 2, 2007, pp. 9-24, §6 accessible ici, voir aussi la position du service juridique du Comité International de la Croix-Rouge, When is a war not a war? - The proper role of the law of armed conflict in the "global war on terror", 16 mars 2004, accessible ici [vi] Rapports de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, A/HRC/43/46 et A/HRC/46/36, 21 février 2020 et 22 janvier 2021, accessible dans l’ordre ici et ici [vii] Résolution 1566 du Conseil de Sécurité, S/RES/1566, 8 octobre 2004, accessible ici [viii] Résolution 49/60 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, A/RES/49/60, 17 février 1995, p. 5, accessible ici [ix] Article 1§2 de la Charte des Nations Unies ; Article 1§4 du Protocol Additionnel 1 de 1977 [x] Cour Internationale de Justice, Avis Consultatif, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, 9 Juillet 2004, §139, accessible ici ; la Cour estime que la Légitime défense fondée sur l'article 51 s'exerce à l'encontre d'une agression en provenance d'un État et non d’un groupe dissident. [xi] Résolution 1368 et 1373 du Conseil de Sécurité, S/RES/1368 et S/RES/1373, 12 septembre 2001 et 5 Mars 2007, accessible dans l’ordre ici et ici [xii] PIERRE KLEIN, Le Conseil de Sécurité et la lutte contre le terrorisme : dans l’exercice des pouvoirs toujours plus grands ?, Revue Québécoise de Droit International, 2007, pp. 144-145, accessible ici [xiii] Voir, par exemple, la résolution 2170 du Conseil de sécurité, S/RES/2170, 15 aout 2014, accessible ici [xiv] Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, A/HRC40/52, 1er mars 2019, accessible ici [xv] Résolution 2249 du Conseil de Sécurité, S/RES/2249, 20 Novembre 2015, accessible ici [xvi] Déclaration de la délégation française après le vote de la résolution 2249, S/PV.7565, 20 novembre 2015, accessible ici [xvii] REMI BACHAND, Les quatre strates du droit international analysées du point de vue des subalternes, RQDI, volume 24-1, 2011, pp. 19-20, accessible ici « lorsqu[‘une] résistance violente prend une forme plus ou moins organisée, celle-ci se fait rapidement classer dans la catégorie juridique de « terroriste », on doit en venir à la conclusion que le droit international permet, légitime, voire protège les formes de violence qui sont profitables aux dominants, mais interdit et discrédite celles dont pourraient se servir les subalternes pour résister à la violence dont ils sont victimes. […] En d’autres termes, si le droit international permet souvent aux puissants de légitimer leurs actes violents d’agression par le droit international, ceux qui se défendent et qui résistent à ces gestes en répondant à la violence par la violence se trouvent qualifiés de terroristes ou de « combattants ennemis » et perdent automatiquement toute leur place comme interlocuteurs légitimes dans la sphère internationale. » [xviii] Article 51 du Protocol Additionnel 1 de 1977, Article 13 du Protocol Additionnel 2 de 1977, Règle nº2 des règles coutumières du droit international humanitaire, accessible ici [xix] « Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires: Rapport du Rapporteur spécial, Philip Alston », E/CN.4/2006/53, §§44 à 54, 8 Mars 2006 et « Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Martin Scheinin », A/HRC/4/26, §§74 à 78, accessible dans l’ordre ici et ici [xx] JASMINE MOUSSA, Can jus ad bellum override jus in bello ? Reaffirming the separation of the two bodies of law, Contemporary threats to the distinction: war between states and non-state actors, International Review of the Red Cross, Vol. 90 nº872, Decembre 2008, pp. 987-989, accessible ici

Featured Posts
Articles récents
bottom of page