top of page

Renouvellement de l’accord entre l’Italie et la Libye

Renouvellement de l’accord entre l’Italie et la Libye : la conséquence de l'inefficacité de la politique migratoire européenne


« [E]ntre 2017 et octobre 2022, près de 100 000 personnes ont été interceptées en mer par les garde-côtes libyens et ramenées de force en Libye, un pays qui ne peut être considéré comme sûr »[1]. En conséquence, le 24 octobre 2022, quarante organisations non gouvernementales (ONG) et trois syndicats[2] ont demandé l’abrogation de l’accord de 2017[3] entre l’Italie et la Libye. Cet appel fait écho au rapport de 2021 du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme[4]. Des violations que subissent les personnes migrantes en Libye y sont relatées telles que des emprisonnements arbitraires, des retenues par des trafiquants ou groupes armés, des viols, des persécutions, de la torture, etc[5]. Cela n’a pas empêché son renouvellement automatique pour 3 ans le 2 novembre 2022[6].

En vertu de l’article 2 dudit accord, l’Italie fournit une aide financière à la Libye et forme ses garde-côtes à intercepter les embarcations des personnes migrantes en mer[7] qui tenteraient de rejoindre l’Italie. Cet accord est soutenu par l’Union Européenne (UE) qui participe à ces actions[8]. Cette stratégie d’externalisation du traitement de la situation des demandeurs d’asile est qualifiée de « politique de non-entrée »[9]. Elle entend lutter contre les « migrants clandestins » ou « illégaux »[10] alors même qu’un demandeur d’asile ne peut pas se voir reprocher une entrée illégale sur le territoire dans lequel sa demande n’a pas encore été examinée au fond. Il en va du respect du principe international cardinal de « non-refoulement »[11], responsabilité que l’Italie fuit en coopérant avec la Libye.

Toutefois, en 2013, l’Italie a mis en place l’opération de recherche et sauvetage « Mare Nostrum » - sauvant environ 150 000 personnes en Méditerranée - suspendue moins d’un an plus tard, les Etats Membres de l’UE ayant refusé de la cofinancer[12]. Cela est représentatif du manque de solidarité européenne en matière migratoire - souligné par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme des migrants en 2015[13] - en dépit de la politique d’asile de l’UE réformée par le règlement de Dublin III[14]. Celui-ci a été adopté avant la « crise migratoire » de 2015 et ne pouvait anticiper un tel afflux migratoire[15]. De plus, la responsabilité qui repose sur les Etats aux frontières extérieures de l’UE est trop forte, et ces derniers sont en incapacité de traiter l’ensemble des demandes d’asile[16]. Des initiatives ad hoc nationales se sont alors développées - telles que l’accord entre l’Italie et la Libye - et ont pour effet de compromettre davantage la solidarité européenne[17]. La confiance des citoyens de l’UE s’en trouve également affectée[18]. Une répartition égalitaire et solidaire des demandeurs d’asile au sein des pays membres permettrait de soulager les pays situés aux frontières extérieures de l’UE, et pourrait avoir un impact significatif sur la conjoncture politique de l’Italie.

La solution ici ne se trouve pas nécessairement devant une Cour. Une requête introduite le 3 mai 2018 devant la Cour européenne des Droits de l’Homme contre l’Italie, notamment pour non-respect du principe de non refoulement, invoque ledit accord dans le droit pertinent[19]. Celle-ci pourrait remettre en cause la coopération italo-libyenne, mais ne serait pas une réponse aux difficultés italiennes relatives à la migration. Dès lors, une réforme du système migratoire de l’UE est désormais urgente face à la « désunion de l’Union »[20]. En effet, rechercher la responsabilité juridique de l’Italie au niveau régional concernant la fuite de sa responsabilité de non-refoulement pourrait appuyer un changement de la politique européenne d’asile mais n’est pas suffisant. L’UE ne doit pas oublier d’où elle vient et ses objectifs premiers : la solidarité étatique et la lutte contre le fascisme.


BIBLIOGRAPHIE



Conventions et traités internationaux :


Convention de Genève relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1954 (article 33§1).


Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, dite Convention européenne des droits de l’Homme, 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 (articles 2 et 3).


Memorandum of understanding on cooperation in the fields of development, the fight against illegal immigration, human trafficking and fuel smuggling and on reinforcing the security of borders between the State of Libya and the Italian Republic, 2 février 2017.



Règlement européen :


Commission européenne, Annex IV to the Agreement establishing the European Union Emergency Trust Fund for stability and addressing root causes of irregular migration and displaced persons in Africa and its internal rules, Bruxelles, 2020.


Le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, dit Règlement Dublin III, 26 juin 2013, entré en vigueur le 1er juillet 2015.



Résolution et projet d’articles des Nations Unies :


Nations Unies, Commission du Droit International, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, cinquante-troisième session, 2001. Texte reproduit dans la Résolution 56/83 de l’Assemblée générale des Nations Unies, A /RES/56/83 (28 janvier 2002).



Jurisprudence :


Cour Européenne des Droits de l’Homme, affaire S.S. et autres contre l’Italie, requête n° 21660/18, 3 mai 2018.



Rapport thématique des Nations Unies :


François CREPEAU, « Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants », A/HCR/29/36, 2015.


Nations Unies, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Search and rescue and the protection of migrants in the central Mediterranean Sea, mai 2021.



Thèse :


Justin LEWIS et Giorgio GALBUSSERA, « L'ascesa dell'Estrema Destra In Italia », 2020, 20p.



Articles scientifiques :

Olivier CORTEN, « La "complicité" dans le droit de la responsabilité internationale : un concept inutile ? », Annuaire Français de Droit international, volume 57, 2011, pp. 57-84.


Lewis DAVIS et Sumit S DEOLE, “Immigration and the Rise of Far-right Parties in Europe”, Leibniz-Institut für Wirtschaftsforschung an der Universität München, ifo DICE Report, ISSN 2511-7823, Vol. 15, Iss. 4, décembre 2017, 15 p.


Shoshana FINE, “All at sea : Europe’s crisis of solidarity on migration”, European Council on foreign relations, octobre 2019.


Thomas GAMMELTOFT--HANSEN et James C. HATHAWAY, “Non-refoulement in a world of cooperative deterrence”, Columbia Journal of Transnational Law 53, n°2, janvier 2015, pp. 235-284.


James HATHAWAY, “The Emerging Politics of Non-Entrée”, Refugees, n°91, décembre 1992, pp. 40-41.


Marie-Laure PRINSON, « Union Européenne : abolition du règlement de Dublin », Civitas Europa, Vol. 2, N° 45, 2020, pp. 425-430.



Articles de presse :


« Bateaux de migrants : l'Italie autorise seulement le débarquement des mineurs et des malades », France 24, 6 novembre 2022.


Andrea CARLO, “Giorgia Meloni sets out vision for Italy in maiden speech as PM”, Euronews, 26 octobre 2022.


« Crise migratoire : 40 ONG exhortent l'Italie à abroger l'accord avec la Libye », Franceinfo, 26 octobre 2022.


“Italy: 40 NGOs, unions ask government to revoke Libya memorandum”, Infomigrants, 26 octobre 2022.


Marina SCHIAVO, « Memorandum Italia–Libia: l’atto di accusa di 40 organizzazioni contro il rinnovo degli accordi », Focus on Africa, 2 novembre 2022.


Marion TISSIER-RAFFIN, Crise européenne de l’asile : « l’Europe n’est pas à la hauteur de ses ambitions », La Revue des Droits de l’Homme, 2015.


Sources électroniques :


« Italie : la situation des droits humains en 2021 », Amnesty International, date non renseignée.


« Italie : MSF prend en charge des victimes de violences et de torture évacuées de Libye », Médecins Sans Frontières, 25 juillet 2022.


« Libye : la situation des droits humains en 2021 », Amnesty International, date non renseignée.


« Libye. Le renouvellement de l’accord sur la migration confirme la complicité de l’Italie dans les actes de torture infligés aux migrant·e·s et réfugié·e·s », Amnesty International, 30 janvier 2020.


« Réforme de l’asile dans l’UE », Conseil de l’UE, 31 août 2022.


« Réfugiés : le piège libyen », Amnesty International, date non renseignée.


The Italy-Libya Memorandum of Understanding: The baseline of a policy approach aimed at closing all doors to Europe?”, EU Immigration and Asylum Law and Policy, 2 octobre 2017.






Eva Delatour, Candice Schmitz, Abigaëlle Guazzelli, Margot Pfrimmer, Laura Laborie







[1] Traduit de l'anglais : “between 2017 and October 2022, nearly 100,000 people have been intercepted at sea by Libyan coast guards and forcibly taken back to Libya, a country which cannot be considered safe”. INFOMIGRANTS, “Italy: 40 NGOs, unions ask government to revoke Libya memorandum”, Infomigrants, 26 octobre 2022. <www.infomigrants.net/en/post/44268/italy-40-ngos-unions-ask-government-to-revoke-libya-memorandum> Consulté le 6 novembre 2022. [2] Ces syndicats sont la Confédération générale italienne du travail, la Confédération italienne des syndicats de travailleurs et l’Union italienne du travail. Ibid. [3] Memorandum of understanding on cooperation in the fields of development, the fight against illegal immigration, human trafficking and fuel smuggling and on reinforcing the security of borders between the State of Libya and the Italian Republic, Rome, 2 février 2017 (ci-après désigné comme « Memorandum »). <eumigrationlawblog.eu/wp-content/uploads/2017/10/MEMORANDUM_translation_finalversion.doc.pdf> Consulté le 6 novembre 2022. [4] Nations Unies, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Search and rescue and the protection of migrants in the central Mediterranean Sea”, mai 2021. <www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/OHCHR-thematic-report-SAR-protection-at-sea.pdf>. Consulté le 6 novembre 2022. [5] AMNESTY INTERNATIONAL, « Libye : la situation des droits humains en 2021 », Amnesty International, date non renseignée. <www.amnesty.fr/pays/libye> Consulté le 6 novembre 2022. [6] Marina SCHIAVO, « Memorandum Italia–Libia: l’atto di accusa di 40 organizzazioni contro il rinnovo degli accordi », Focus on Africa, 2 novembre 2022. <www.focusonafrica.info/memorandum-italia-libia-latto-di-accusa-di-40-organizzazionicontro-il-rinnovo-degli-accordi/> Consulté le 6 novembre 2022. [7] Memorandum, Op. cit. [8] L’UE, dans le cadre l'Accord instituant le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique, et ses règles internes, cofinance, avec l’Italie, les autorités libyennes et participe également à leur formation. Commission européenne, Annex IV to the Agreement establishing the European Union Emergency Trust Fund for stability and addressing root causes of irregular migration and displaced persons in Africa and its internal rules, Bruxelles, 2020. <https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/default/files/t05-eutf-noa-ly-04_modified.pdf> Consulté le 19 novembre 2022. [9] Traduit de l’anglais “politics of non-entrée” : Thomas GAMMELTOFT--HANSEN et James C. HATHAWAY, “Non-refoulement in a world of cooperative deterrence”, Columbia Journal of Transnational Law 53, n°2, janvier 2015, p.241. [10] Traduit de l’anglais : “clandestine migrants” ; “illegal migrants”, Memorandum, Op. cit. [11] Voir à ce propos l’article 33§1 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 195. [12] Shoshana FINE, “All at sea : Europe’s crisis of solidarity on migration”, European Council on foreign relations, octobre 2019, p. 5. <https://ecfr.eu/wp-content/uploads/all_at_sea_europes_crisis_of_solidarity_on_migration.pdf> Consulté le 22 novembre 2022. [13] François CREPEAU, « Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants », A/HCR/29/36, 2015, §33. <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G15/092/49/PDF/G1509249.pdf?OpenElement> Consulté le 22 novembre 2022. [14] Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil, 26 juin 2013 (Dublin III) : Dublin III étant un système de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile. Ce dernier doit être distingué de l’État d’enregistrement depuis Dublin III - l’État d’arrivée. L’État responsable du traitement de la demande d’asile est déterminé par des critères liés à la situation personnelle et familiale, ainsi que les critères relatifs à l’entrée et au séjour sur le territoire des États membres. Concernant ce dernier critère, une différence doit être effectuée entre l’accès régulier, l’État responsable étant l’État de délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour, et l’accès irrégulier, l’État responsable étant l’État de franchissement de la frontière externe de l’UE (article 13). <euaa.europa.eu/sites/default/files/public/Dublin-FR.pdf> Consulté le 6 novembre 2022. [15] Marie-Laure PRINSON, « Union Européenne : abolition du règlement de Dublin », Civitas Europa, Vol. 2, N° 45, 2020. <https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2020-2-page-425.htm> Consulté le 22 novembre 2022. [16] « Réforme de l’asile dans l’UE », Conseil de l’UE, 31 août 2022. <https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/eu-asylum-reform/> Consulté le 22 novembre 2022. [17] Shoshana FINE, “All at sea : Europe’s crisis of solidarity on migration”, Op. cit. p. 12. [18] Ibid. p. 4. [19] Les griefs invoqués résulteraient du manquement de l’Italie à ses « obligations positives » de protéger le droit à la vie et l’intégrité physique des personnes migrantes venues de la Libye en vertu de l’article 2 et 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Cour Européenne des Droits de l’Homme, affaire S.S. et autres contre l’Italie, requête n° 21660/18, 3 mai 2018. <hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-194748> Consulté le 6 novembre 2022. [20] Propos tenus par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union le 9 septembre 2015, Marion TISSIER-RAFFIN, Crise européenne de l’asile : « l’Europe n’est pas à la hauteur de ses ambitions », La Revue des Droits de l’Homme, 2015, https://journals.openedition.org/revdh/1519?lang=en, consulté le 22 novembre 2022, propos tenus par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union le 9 septembre 2015.

Featured Posts
Articles récents
bottom of page