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Cessez-le-feu au Haut-Karabakh : quels gagnants, quels perdants ?



Dans la nuit du 9 au 10 novembre dernier, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et le président azéri, Ilham Aliyev, ont signé un accord de cessez-le-feu sous l’égide de la Russie. Ce texte a ainsi mis fin à six semaines de combats au Haut-Karabakh.


Pour rappel, le Haut-Karabakh est une enclave à majorité arménienne qui fut rattachée en 1921 à l’Azerbaïdjan par les autorités soviétiques. Depuis la dissolution de l’URSS, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent ce territoire. En 1992, le Haut-Karabakh proclame unilatéralement son indépendance[1], avec le soutien de l’Arménie. S’en est suivi la première guerre du Haut-Karabakh qui a fait 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés[2]. Malgré un accord de cessez-le-feu signé en 1994 et l’instauration d’une médiation russo-américano-française[3] (baptisée « groupe de Minsk »), les accrochages demeurent fréquents entre les deux pays. En 2016, de graves heurts avaient déjà failli dégénérés en guerre[4]. Quant à la société internationale, celle-ci ne reconnait pas cette indépendance et le Conseil de sécurité de l’ONU n’a eu de cesse de rappeler le principe de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan[5].


Cet accord entérine les avancées sur le terrain de l’armée azérie. Ainsi, Bakou reprend le contrôle de la majorité des territoires perdus suite à la première guerre du Haut-Karabakh (7 territoires au total) mais surtout de Chouchi, deuxième ville du Haut-Karabakh. En outre, il est prévu l’ouverture d’un corridor au sud de l’Arménie qui reliera le Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan alors que cette province était séparée du reste du pays depuis 1991. La Russie est chargée de la mise en œuvre de l’accord et du respect du cessez-le-feu. Elle déploiera près de 2000 soldats russes sur 16 sites pour une durée minimum de cinq ans. Le lendemain de la signature de l’accord, la Turquie a annoncé qu’elle participerait aux côtés de la Russie à la bonne application de l’accord.


L’Arménie est incontestablement la grande perdante de ce nouveau cessez-le-feu. Dépendante du soutien russe face à l’Azerbaïdjan qui dispose d’un budget de la défense considérablement supérieur au sien[6], elle n’a pas été protégée comme elle l’espérait. En effet, malgré l’appartenance de l’Arménie à l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) - qui contient une clause de défense collective en cas d’intervention militaire étrangère -, la Russie a estimé qu’elle n’avait aucune raison d’intervenir militairement tant que les troupes azéries ne pénétraient pas sur le territoire arménien. La signature du cessez-le-feu a ainsi provoqué la colère des citoyens arméniens[7], ce qui laisse présager d’une politique intérieure difficile à gérer pour Nikol Pachinian dans les mois à venir.


Le principal gagnant est évidemment l’Azerbaïdjan, qui récupère ses territoires occupés depuis près de trente ans. Mais surtout, la Russie renforce sa position de leader régional dans l’espace stratégique du Caucase. La Turquie fait également partie des gagnants. Principal allié de l’Azerbaïdjan, pays turcophone avec lequel elle partage la même aversion envers l’Arménie, Ankara a aidé à la modernisation de l’armée azérie au cours des dernières années[8]. De plus, la création du corridor au sud de l’Arménie qui reliera le Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan est un atout majeur pour le secteur énergétique turc. En effet, ce continuum turc de la mer Noire à la mer Caspienne facilite l’acheminement du gaz azéri par le gazoduc transanatolien vers les marchés européens.


Le groupe de Minsk est l’autre perdant notable. Fondé en 1992 dans le cadre de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), ce groupe de médiation dirigé par la Russie, la France et les États-Unis a brillé par son absence lors du conflit. Ainsi, la Russie a poursuivi ses propres intérêts. Les États-Unis se sont désintéressés du sujet tandis que la France s’est cantonnée à une position de spectatrice. Cependant, le 25 novembre dernier, le Sénat français a voté une résolution non contraignante reconnaissant l’indépendance du Haut-Karabakh, une première mondiale[9]. Ce vote a provoqué de vives réactions de la part de l’Azerbaïdjan et de la Turquie, qui contestent cette reconnaissance[10]. Le ministère des affaires étrangères français s’est immédiatement désolidarisé du Sénat en affirmant que la France ne reconnaissait pas l’indépendance du Haut-Karabakh dans un communiqué de presse[11]. Loin de constituer un accord de paix durable, l’accord consacre les gains militaires de Bakou et assoit la position de la Russie en tant que leader dans cet espace post-soviétique.


Par Laura BLOCRY, Perine ERTOGUL, Delphine MORADI, Audrey PERRIOLAT, Léa SPINCER


RÉFÉRENCES

[1] Declaration on State independence of the Nagorno-Karabakh Republic, 6 janvier1992, accessible ici . [2] Le Monde, Haut-Karabakh, le réveil d’un vieux conflit, 15 octobre 2020, accessible ici. [3] Fondé en 1992 dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le groupe de Minsk a pour but d’encourager la négociation d’une solution pacifique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, dans le conflit les opposant sur le Haut-Karabakh. [4] Le Monde, Dans la guerre sans fin du Haut-Karabakh, 12 avril 2016, accessible ici. [5] Conseil de Sécurité de l'ONU, résolutions 822, 853, 874 et 884 de 1993. [6] En 2019, le budget de la défense azéri était de 2 milliards de dollars contre 670 millions de dollars pour l’Arménie. Voir https://data.worldbank.org/indicator/MS.MIL.XPND.CD?locations=AM et https://data.worldbank.org/indicator/MS.MIL.XPND.CD?locations=AM. [7] Le Monde, En Arménie, colère après l’accord de cessez-le-feu au Haut-Karabakh, 11 novembre 2020, accessible ici. [8] Accord de partenariat stratégique et d'assistance mutuelle entre la République turque et la République d'Azerbaïdjan. Bakou, 16 août 2010, accessible ici. [9] Sénat, Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh déposé au Sénat le 18 novembre 2020, accessible ici. [10] Le Figaro, Karabakh : le Parlement azerbaïdjanais veut exclure la France de la médiation, 26 novembre 2020, accessible ici . [11] Ministère des affaires étrangères français, Haut-Karabagh - Déclaration de la porte-parole (26 novembre 2020), accessible ici .

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