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Droit international humanitaire et Espace extra-atmosphérique

« J’ai une histoire à vous raconter. C’est celle d’un satellite […] Athena-Fidus […] qui depuis 2014 nous permetd’échanger des informations, de planifier des opérations, de garantir notre sécurité́. Mais voilà. Alors qu’Athena-Fidus continuait sa rotation […], un satellite s’est approché de lui, de près. De tellement près qu’on aurait vraiment pu croire qu’il tentait de capter nos communications. Tenter d’écouter ses voisins, ce n’est pas seulement inamical. C’est un acte d’espionnage. Et ce satellite aux grandes oreilles s’appelle Louch-Olymp, satellite russe bien connu mais un peu... indiscret. [...] Une défense spatiale, c’est nécessaire, c’est essentiel[1]. »


Cette dénonciation d’espionnage peu courante, faite par la ministredes armées Florence Parly, témoigne du désir français de maintenir sa stratégie militaire[2] afin d’assurer sa défense « de l’Espace et par l’Espace » [3]. En ce sens, la France a renforcé en 2021 sa coopération avec le Centre National d’Études Spatiales. Aujourd’hui, cette volonté de développer des moyens de défense spatiale adaptés est partagée, aussi bien par des acteurs publics, tels que les Etats, que des acteurs privés ou start-up. Qui plus est, la récente création de la “Space force” aux États-Unis a de nouveau ouvert les discussions au sujet de la militarisation de l’espace. Elle pousse paradoxalement les adversaires étasuniens, la Chine et la Russie principalement, à répondre à cet élan offensif. Cependant, les spécificités du milieu spatial et des opérations qui s’y déroulent, laissent s’esquisser plusieurs questions : Qu’en est-il de l’application du droit international, en particulier du droit international humanitaire ? Les principes de proportionnalité et de distinction s’appliquent-ils, notamment en ce qui concerne les objets à usage dual civil/militaire ? Peut-on parler d’« attaque » au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies ? En d’autres termes, le droit international exige-t-il que l'espace soit utilisé uniquement à des fins pacifiques ?


La Cour internationale de justice affirme que les principes régissant les conflits armés « s’appliquent à toutes les formes de guerre[4] ». Certes, la guerre spatiale n’est plus une fiction[5]. Pourtant, il n’existe actuellement aucun instrument juridique international contraignant[6]. On ne trouve aucune exigence selon laquelle l'espace doit être utilisé exclusivement à des fins pacifiques[7]. En effet, le Traité sur l'espace extra-atmosphérique de 1966 semble constituer l’unique base du droit international relatif aux utilisations militaires et pacifiques de l'espace, encore est-il qu’il n'impose aucune obligation juridique. Parmi ses dispositions, seuls les articles III et IV font directement référence à l'utilisation pacifiquede l'espace. Le premier interdit la menace ou l’utilisation de la force, les activités doivent être menées « conformément au droit international, y compris la Charte des Nations unies » ; le second interdit les armes de destruction massive et créer l'obligation de fins pacifiques vis-à-vis des corps célestes. Par conséquent, l'article IV n’autorise pas, mais n’interdit pas non plus, les armes de destruction non-massive et l’utilisation d’objets spatiauxà double usage civil/militaire. En ce sens il convient alors de distinguer la militarisation de l’espace, qui concerne l’utilisation d’objets à usage militaire, de l’arsenalisation, qui concerne la mise en orbite d’armes spatiales qui pourraient éventuellement déboucher sur une guerre, si les Etats en faisaient le choix[8]. Aujourd’hui, bien que nous soyons face à une arsenalisation de l’espace, le problème persiste : un pays peut choisir à tout moment d’utiliser son matériel civil à des fins militaires[9]. L’éventualité d’un conflit n’est donc pas écartée. D’ailleurs, cette éventualité voit déjà le jour. La Russie, par exemple, développe une technologie de satellites manœuvres en orbite, utilise des techniques de brouillage ou des lasers afin d’aveugler des satellites adverses. La Chine, quant à elle, développe une technologie hypersonique[10], certains évoque d’ailleurs, selon les propos de l’ancien secrétaire à la défense américaine Donald Rumsfeld, d’un « Pearl Harbor de l’espace »[11].


La guerre spatiale étant donc une réalité, le droit international humanitaire trouve à s’appliquer. Les Etats réalisent progressivement l’impact de l’espace dans nos vies (surveillance agricole, météo, …) et la particularité de ce lieu face auquel les puissances sont très vulnérables[12]. En effet, la puissance qui aura le plus de satellites sera aussi celle qui subira le plus de dommages puisqu’ils seront détruits par les débris provoqués. Il faut donc habiter l’espace différemment, et pour cela, il faut des règles adéquates. C’est pourquoi, bien que les négociations semblent pour le moment impossibles, du fait en partie de la position de blocage des américains, certains juristes tentent de contourner le problème par l’application d’un manuel qui pourrait limiter les initiatives individuelles et les innovations éventuelles de normes nationales qui l’emporteraient sur des normes internationales[13].


L’espace est, à grande échelle, le reflet des querelles qui persistent sur Terre. Aujourd’hui près de 70 pays ont un satellite en orbite. Des acteurs privés font leur apparition et prennent une valeur stratégique immédiate, souvent hors du contrôle des gouvernements. Néanmoins les trois grandes puissances continuent de dominer le jeu. La surface terrestre, devenue insuffisante pour mettre en œuvre cette rivalité, a été remplacée par l’espace en tant que nouveau terrain de concours de force.


Par Émilie AGU, Valérie QUINTERO-BORRERO, Rebecca REVALY et Jeanne ROGER

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RÉFÉRENCES

[1]F. PARLY, ministre des Armées, Espace et défense, discours, 7 septembre 2018, p. 2. [2] L. PEREZ, L’application du droit des conflits armés à l’espace extra-atmosphérique, note de recherche n°69, janvier 2019, p. 2. [3]J-Y. LE GALL, président du Centre National d’Études Spatiales, vœux à la presse, 5 janvier 2020. [4] CIJ, Affaire de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis du 8 juillet 1996, Recueil 1996, § 86. [5] L. PEREZ, « Le régime juridique du conflit armé dans l’espace extra-atmosphérique : une consolidation du droit international humanitaire par le droit de l’espace », Université Toulouse Capitole : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2021, pp. 113-132. [6] R. JAKHU, Conflit dans l’Espace et règle de droit, Revue Défense Nationale 2016/6 (N° 791), pp 80-86. [7] J. GRUNERT, The “Peaceful use” of outer space?, 22 juin 2021. [8] F. GAILLARD-SBOROWSKY, La nouvelle guerre des étoiles, France culture, émission, 29 septembre 2018. [9] Id. [10] M. DUCHÂTEL, La nouvelle guerre des étoiles, France culture, émission, 29 septembre 2018. [11]S. EISENHOWER, « Défense spatiale : ambitions et ambigüités américaines », Politique américaine, vol. 3, no. 3, 2005, pp. 11-24. [12] D. PORRAS, La nouvelle guerre des étoiles, France culture, émission, 29 septembre 2018. [13]F. GAILLARD-SBOROWSKY,Sécuriser l’espace extra-atmosphérique Éléments pour une diplomatie spatiale, 28 février 2016.

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