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La Cour européenne des droits de l’Homme : nouveau forum des contentieux climatiques ?

Le 7 septembre 2020, six requérants de nationalité portugaise, âgés de 12 à 21 ans, ont introduit une requête[i] d’une ampleur inédite devant la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH). L’affaire met en cause 33 États parties à la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH) dont les émissions de gaz à effet de serre ont un impact dramatique sur le réchauffement climatique et, par extension, sur les conditions de vie et la santé des requérants. En outre, ces derniers allèguent également une violation de l’article 14 de la Convention EDH, relatif à l’interdiction de discrimination, arguant que « le réchauffement climatique touche plus particulièrement leur génération »[ii]. La Cour EDH a fait droit à ce que cette requête soit examinée prioritairement au titre de l’article 41 de son Règlement, le 13 novembre dernier. Au regard de sa substance, cette requête s’inscrit pleinement dans le mouvement des contentieux climatiques, ayant pour objectif de « placer la question climatique au centre du débat »[iii]. La lecture des droits contenus dans la Convention EDH opérée par les requérants, à la lumière de l’Accord de Paris[iv], témoigne aussi d’une dynamique récente au sein de ce mouvement : la mobilisation croissante des droits de l’Homme comme fondement d’une « obligation climatique »[v]. Cette dynamique a encore été qualifiée de « climatisation » des droits de l’Homme[vi] et semble être un moyen efficace pour agir face à l’urgence climatique en permettant « d’imposer aux États des obligations positives en matière environnementale »[vii].


Comme l’a souligné la Cour EDH dans son arrêt Kyrtatos c. Grèce, aucune disposition dans la Convention EDH ne protège en tant que tel le droit à un environnement sain[viii]. Toutefois, la Cour a précisé dans cette même affaire que « les conséquences environnementales individuelles de certaines activités humaines ou de phénomènes naturels peuvent entrer en contact avec le contentieux des droits civils et politiques, dès lors que ces conséquences peuvent s’analyser comme une atteinte (…) aux droits déjà protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme »[ix]. En l’espèce, les effets néfastes de telles activités pourraient notamment constituer une atteinte au droit à la vie, protégé par l’article 2 de la Convention EDH. Ainsi, en incorporant de façon casuistique les questions environnementales au champ matériel de protection de la Convention, et en affirmant que la sauvegarde de l’environnement constitue une « valeur » à défendre[x], la Cour EDH participe elle aussi de manière évidente à la judiciarisation de la lutte pour un environnement sain.


Il est à noter que la requête[xi] du 7 septembre dernier recouvre une envergure sans précédent étant donné que l’ensemble des pays de l’Union européenne, ainsi que la Suisse, la Russie, la Turquie, l'Ukraine, la Norvège et le Royaume-Uni, forment un total de 33 États défendeurs dans l’affaire. Dès lors, si la question soulevée devant la Cour EDH venait à aboutir en faveur des requérants, elle viendrait à son tour enrichir de manière significative sa jurisprudence.


Par ailleurs, la « climatisation » des droits de l’Homme[xii] n’est pas propre à la Cour EDH, elle s’illustre à tous les niveaux et sur plusieurs continents. En ce sens, les juges internes ouvrent de plus en plus leurs prétoires pour connaître de telles actions[xiii], à l’instar, entre autres, de la Cour Suprême des États-Unis. Cette dernière est actuellement attendue pour se prononcer sur l’affaire dite « Youth v. United States »[xiv], dans laquelle vingt-et-un enfants et adolescents ont déposé un recours en 2015 à l’encontre du gouvernement des États-Unis et de sa politique environnementale[xv]. D’autre part, c’est également ce que démontre l’aboutissement de certains recours devant les cours régionales africaines, comme ce fut par exemple le cas avec la décision Serengeti c. Tanzanie[xvi] devant la Cour de Justice de l’Afrique de l’Est. Il convient également de souligner que la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples comprend des dispositions[xvii] qui garantissent directement la protection de l’environnement et qui ont pu être utilement invoquées devant la Cour de Justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest[xviii].


Enfin, pour revenir au cadre européen, bien que le Conseil de l’Europe reconnaisse qu’un environnement sain est une condition préalable à la jouissance des droits de l’Homme[xix], il ne serait pas opportun de se réjouir trop rapidement car la recevabilité de la requête du 7 septembre 2020 sera « âprement discutée », et la décision de la Cour EDH de l’examiner « prioritairement » ne présage en rien du succès final de la démarche[xx].


Par Maël CHEREF, Marie KASSASSEYA, Célia SCALABRINO, Layla VÉRON et Rodin Privat ZAHIMANOHY


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RÉFÉRENCES

[i] Cour EDH, Duarte Agostinho et autres c. le Portugal et 32 autres États, requête n°39371/20, affaire communiquée du 13 novembre 2020. [ii] Ibid. Cour EDH, Duarte Agostinho et autres c. le Portugal et 32 autres États. [iii] Dir. Marta TORRE-SCHAUB, Les dynamiques du contentieux climatique, Usages et mobilisation du droit pour la cause climatique, rapport final de recherche, décembre 2019, p. 13. Consultable ici. [iv] Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015 et entré en vigueur le 4 novembre 2016. Consultable ici. [v] Dir. Marta TORRE-SCHAUB, Les dynamiques du contentieux climatique, op. cit., pp. 106-107. [vi] Christel COURNIL et Camilla PERRUSO, Réflexions sur « l’humanisation » des changements climatiques et la « climatisation » des droits de l'Homme. Émergence et pertinence, Revue des droits de l’Homme n°14, 11 juin 2018. Consultable ici. [vii] Sarah JAMAL, L’interdépendance des droits de l’Homme et du droit de l’environnement : source de nouvelles obligations en matière de pollutions (Comité des droits de l’Homme, Norma Portillo Caceres c. Paraguay, 20 septembre 2019, comm. N°2751/2016), Droits fondamentaux n°18, 2020. Consultable ici. [viii] Cour EDH, Kyrtatos c. Grèce, arrêt du 22 mai 2003, para. 52. [ix] Ludovic HENNEBEL et Hélène TIGROUDJA, Traité de droit international des droits de l'homme, Pedone: Paris, 2016, p. 1245. [x] Voir par exemple : Cour EDH, Fredin (n°1) c. Suède, arrêt du 18 février 1991, para. 48 ; Cour EDH, Hamer c. Belgique, arrêt du 27 novembre 2007, para. 79 ; Cour EDH (GC), Depalle c. France, arrêt du 29 mars 2010, para. 81. [xi] Cour EDH, Duarte Agostinho et autres c. le Portugal et 32 autres États, requête n°39371/20, affaire communiquée du 13 novembre 2020. [xii] Christel COURNIL et Camilla PERRUSO, Réflexions sur « l’humanisation » des changements climatiques et la « climatisation » des droits de l'Homme. Op. cit.. [xiii] Arnaud GOSSEMENT, Affaire Urgenda c. État des Pays-Bas : la décision de la Cour suprême des Pays-Bas est-elle historique ou symbolique ?, 26 décembre 2019. Consultable ici. / Stéphane MANDARD et Audrey GARRIC, Le gouvernement a trois mois pour prouver qu’il respecte ses engagements climatiques, une première en France, Le Monde, 19 Novembre 2020. Consultable ici. [xiv] Audrey DUMAIN, Justice climatique : les précédents dans le monde, France culture, 16 janvier 2019. Consultable ici. [xv] Ibid. Audrey DUMAIN, Justice climatique : les précédents dans le monde. [xvi] James Thuo GATHII, Saving the Serengeti: Africa’s New International Judicial Environmentalism, Chicago Journal of International Law, Vol. 16 : n°2, Article 3, 2016. Consultable ici. [xvii] Articles 14, 15, 16, 21 et 24 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. [xviii] Cour ADHP, SERAP c. Nigéria, arrêt du 21 novembre 2010. [xix] Conseil de l’Europe, Concept – Droit de l’Homme pour la planète. Consultable ici. [xx] Le Figaro avec AFP, La Cour EDH se penche pour la première fois sur le réchauffement climatique, 30 novembre 2020. Consultable ici.

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