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Sanctions contre sanctions : la nouvelle dégradation des relations sino-occidentales 

Les relations entre la Chine et les pays occidentaux ont connu cette semaine un nouveau tournant. La confrontation grandissante autour du sort de la minorité musulmane des Ouïghours dans l’Ouest de la Chine (Xinjiang) ravive un parfum amer de Guerre froide[1], exacerbé par les nouvelles ambitions stratégiques de Pékin et Washington.


Ce lundi 22 mars 2021, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont lancé une action diplomatique concertée pour dénoncer l’internement massif des Ouïghours, tout en annonçant des sanctions individuelles -interdiction de visas et gels des avoirs- contre des officiels chinois de la province de Xinjiang. La réaction du gouvernement chinois ne s’est pas fait attendre, annonçant dans la même journée, des sanctions contre dix Européens et quatre organisations[2] : interdiction de séjour (Chine continentale, Hong Kong, Macao) et de faire des affaires avec le pays. Cette « diplomatie en ping-pong » est inédite : il s’agit des premières sanctions européennes contre la Chine depuis l’embargo sur les armes qui avait suivi les massacres de Tiananmen en 1989[3].

La réponse de Pékin est significative. Bien que les sanctions européennes visent des personnalités liées à la répression au Xinjiang, membres actifs de l’appareil sécuritaire et économique du Parti communiste, les représailles chinoises se focalisent elles, sur des détracteurs de la politique chinoise. À travers ces sanctions, ce ne sont pas des actes spécifiques qui sont visés, mais bien la liberté d’expression d’eurodéputés, de chercheurs ou de citoyens. Cette démarche similaire avait déjà été constatée dans les attaques de l'ambassade de Chine en France contre le chercheur Antoine Bondaz, qui s’était lui aussi exprimé sur la répression des Ouïghours, et qui valent à l'ambassadeur Lu Shaye une nouvelle convocation au Quai d'Orsay[4] ainsi qu’un communiqué sévère de la diplomatie française[5]. Ces sanctions interviennent quelques jours après une vive altercation entre diplomates américains et chinois, lors d’une rencontre à Anchorage (Alaska) ce 18 mars. Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, n’a pas hésité à annoncer d’entrée de jeu que : «Le Xinjiang, Hong Kong, Taïwan, les cyber-attaques contre les États-Unis, la coercition économique contre nos alliés, tout cela menace l'ordre et la stabilité mondiale». Ce dernier avait largement insisté sur les « profondes inquiétudes » de Washington quant au « génocide en cours » à l’encontre des Ouïghours[6]. Rappelons que d’après une enquête de l’Australian Strategic Policy Institute[7]publiée en septembre dernier, 380 centres de détention de Ouïghours ont été identifiés au Xinjiang grâce à des images satellites, des témoignages, des articles de presse et des appels d’offres publics de BTP[8].

Ainsi, la Chine, en ciblant spécifiquement le Parlement européen, compromet grandement la ratification du traité sino-européen sur les investissements qui a été conclu en décembre dernier. Le traité, en négociation depuis 2013, doit permettre de réduire des déséquilibres d’accès aux marchés qui défavorisaient jusqu’ici les Européens, ce qui faciliterait les entreprises européennes à investir en Chine dans les services financiers, les véhicules électriques, les services de cloud ou encore de santé[9]. Des eurodéputés avaient déjà vivement critiqué le flou des engagements de Pékin quant à la question du travail forcé des Ouïghours au sein de cet accord[10].

La saga diplomatique en présence n’est que le simple reflet des nouvelles positions géostratégiques américaines et chinoises. On assiste d’une part à une métamorphose de la diplomatie chinoise. Pendant de nombreuses années, sous les instructions de Deng Xiaoping, elle a joué profil bas, à base de langue de bois et de discrétion. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, les diplomates chinois sont appelés à adopter « un esprit combattant » pour imposer la perception chinoise des relations internationales[11]. Sa puissance économique, militaire, scientifique et spatiale, mêlée à son autoritarisme politique, donne à la Chine la conviction de posséder le modèle le plus adapté aux défis de ce siècle. Ces motifs de fierté la poussent à ne plus être silencieuse sur le plan international.

Quant aux États-Unis, l’investiture récente de Joe Biden vient dessiner un paysage diplomatique renouvelé. Ce dernier a la volonté de convaincre son rival stratégique chinois que « Sleepy Joe »[12] doit être pris au sérieux. De plus, la gestion critiquable de la pandémie par l’ex-président Trump avait convaincu les dirigeants chinois que Washington était en déclin. Après deux ans de guerre commerciale avec les États-Unis, la Chine a enregistré l’an passé une croissance, tandis que l’Amérique était en récession[13]. Le Président Joe Biden entend restaurer l’image des États-Unis en tant que première puissance mondiale, disposant d’une économie concurrentielle et d’une diplomatie ferme dans la promotion de leurs idéaux. Ainsi, les États-Unis n’hésitent pas à se placer à la tête d’un multilatéralisme renouvelé pour contrer l’envolée chinoise et la contraindre à une pression collective suivant une conception occidentalisée des activités internationales.

La mutation des relations sino-occidentales est donc en cours, soulignant d’avantage une réelle fracture idéologique. Le positionnement de chacune des puissances au regard de leurs valeurs pousse à un antagonisme exacerbé. Alors que les États-Unis sont engagés dans une guerre commerciale grandissante avec son rival chinois, sanctions diplomatiques et économiques devenant un quotidien, les puissances européennes sont-elles prêtes à s’engager dans de telles pressions continues ?.


Par Arnaud Battaglia, Clémentine Elfasci, Délia Hammar, Camille Houtteman, Zoé Jalabert et Arthur Romano

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RÉFÉRENCES

[1]Un parfum de Guerre froide entre la Chine et l’Europe, Pierre Haski - Géopolitique, France Inter, 23 mars 2021, [disponible ici]. [2]Les eurodéputés Raphaël Glucksmann, IlhanKyuchyuk, Miriam Lexmann, Michael Gahler et Reinhard Bütikofer ont été visés par ces décisions. Le député néerlandais Sjoerd Wiemer Sjoerdsma, le Belge Samuel Cogolati et le Lituanien DovileSakaliene font également l'objet de sanctions chinoises. Les universitaires Adrian Zenz et BjörnJerdén sont aussi concernés. Quant aux organisations ciblées, le Comité politique et de sécurité du Conseil de l'Union européenne et le Sous-comité aux droits humains du Parlement européen ont été attaqués. Voir : Ouïghours : en réponse à l’UE, la Chine sanctionne dix Européens, France 24, 22 mars 2021, [disponible ici]. [3]Pour plus de détails voir ; Ventes d’armes à la Chine : la fin de l’embargo européen ?, Mathieu Rémond, Politique étrangère, 2008/2, pages 302 à 318, [disponible ici]. [4]L’ambassadeur de Chine a été convoqué au Quai d’Orsay après des propos « inacceptables », Franceinfo, 23 mars 2021, [disponible ici]. [5] Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, communiqué de presse - Chine, 22 mars 2021, [disponible ici]. [6]Chine-États-Unis : rencontre glaciale en Alaska, Slate, 23 mars 2021, [disponible ici]. [7]Uyghurs for sale, Australian Strategic Policy Institute, première publication en février 2020, [disponible ici]. [8]Chine : une enquête fait état de 380 centres de détention de Ouïghours au Xinjiang, Le Monde, 24 septembre 2020, [disponible ici]. [9]L’Europe conclut un traité d’investissement avec la Chine, L’écho, 30 décembre 2020, [disponible ici]. [10]Supra note n°1 [11]La Chine confond fierté et arrogance, J.M Four – Le monde d’après, France Inter, 22 mars 2021, [disponible ici]. [12]Pendant le campagne électorale, Donal Trump avait surnommé Joe Biden de « Sleepy Joe » pour se moquer de l’âge de son rival. Il l’a également appelé « China Joe » car selon lui, Joe Biden et plus largement l’administration Obama a toujours été trop gentil avec la Chine. Voir ; « Sleepy Joe", "Corrupt Joe", "China Joe"... Les 10 surnoms pas très aimables que Donald Trump a (déjà) donnés à Joe Biden, FranceInfo, 29 novembre 2020, [disponible ici]. [13]Pourquoi Joe Biden joue au ‘dur’ en politique étrangère, Pierre Haski - Géopolitique, France Inter, 19 mars 2021, [disponible ici].

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